L’Allemagne devrait restituer les bronzes du Bénin au cours de l’année 2022, nous avons demandé à neuf spécialistes de la scène artistique nigériane ce qu’elles et ils en pensent.
Naomi Edobor – curatrice
Je ne vais plus avoir besoin de me rendre dans les musées occidentaux pour voir les œuvres de mes Ancêtres, et voilà un véritable sentiment du commun, de communauté. Les bronzes du Bénin sont des défenses d’éléphant sculptées, des statues de léopard en ivoire, ainsi que des têtes en bois qui ont été pillées dans le royaume du Bénin en 1897. Ces objets ont passé un siècle et demi loin de leur véritable et légitime foyer. Des années ont été investies pour tenter de combler le vide béant que cet événement déplorable a laissé au sein de notre histoire de l’art.
Le débat sur les bronzes du Bénin, pillés par les Britanniques et restitués par l’Allemagne en 2022, ne devrait pas avoir lieu en ce moment. Ces objets appartiennent à une culture, à un peuple, et ils doivent être restitués puisqu’ils ont une importance pour notre société et constituent une part essentielle de notre art vernaculaire et de notre histoire. Ces artefacts serviront de points de référence pour les personnes qui travaillent dans les secteurs de la culture et des arts et, plus important encore, nous éviterons aux générations futures les répercussions de ces actes sur notre histoire collective.
Folakunle Oshun – artiste et curateur
La restitution de biens volés est toujours bienvenue, mais on sait clairement laquelle des deux parties profite le plus de cet acte de bienveillance. Le vol de ces bronzes n’a pas fait l’objet d’un communiqué de presse ni d’aucun tapage médiatique. Leur restitution devrait donc se faire en silence et s’accompagner de compensations proportionnelles :
Des billets de musée vendus depuis plus d’un siècle.
Des parrainages et financements reçus pour des expositions, des recherches, des prêts et d’autres projets entourant la conservation de ces œuvres.
Un traumatisme affectif pour toute une communauté, une ville, un pays et un continent.
Le financement du stockage et de la conservation des bronzes restitués pour un autre siècle.
Les connaissances et les compétences techniques perdues à cause de l’expédition punitive qui a ouvert la voie au pillage des bronzes du Bénin.
La question de ce retour ne peut et ne doit pas être fragmentée ou localisée. Plus de 2000 pièces de bronze ont été pillées dans l’empire du Bénin par les forces britanniques, c’est pourquoi l’ensemble des protagonistes de cette conversation doivent s’unir et veiller au retour de la totalité des œuvres. La première étape serait d’interdire leur exposition dans les musées occidentaux.
Contrairement aux plus de 8000 ossements humains et aux crânes namibiens détenus par l’Allemagne et restitués au compte-gouttes, les bronzes du Bénin ne seront pas utilisés pour marquer des points politiques faciles ; aucune excuse n’est nécessaire.
Si aucune mesure n’est prise pour satisfaire à ces conditions ou du moins commencer à le faire, la restitution des œuvres est inutile. Si l’Allemagne doit faire face à son passé colonial, cela devrait être le problème de l’Allemagne, les bronzes du Bénin ne devraient pas être utilisés comme un vulgaire instrument d’expiation.
Cent vingt-quatre ans, c’est en effet une longue période pour se décider à rendre ce qui a été volé. La grande question est de savoir quelle est la valeur de ces œuvres pour la personne lambda dans les rues du Nigeria. Il faut tenir compte de l’intention originale qui a inspiré la création de ces pièces et de leur utilisation détournée dans les musées occidentaux. Leur retour doit coûter autant que leur vol.
Leur retour doit coûter aussi cher que leur vol ; il ne peut y avoir de solution miracle.
Agwu Enekwachi – auteur dans le domaine de l’art
Ces bronzes figurent parmi les plus de mille objets pillés par les forces britanniques au cours de la sinistre invasion du palais royal du Bénin en 1897.
Lorsqu’on l’évoque dans les cours d’histoire de l’art ou dans les forums publics consacrés à l’art et à la culture au Nigeria, cela laisse chez beaucoup une sorte d’angoisse qui a conduit à la demande insistante de leur restitution tout en soulignant le caractère abusif de leur acquisition.
Des demandes répétées et des engagements favorables ont amené les responsables de la culture et les leaders politiques en Occident à reconsidérer la question, ce qui porte aujourd’hui ses fruits. Dans l’attente de la restitution de ces artefacts, il est nécessaire de dépasser les arguments qui risquent de nuire à des résultats constructifs.
Dans la ville de Bénin, d’où proviennent les bronzes, un musée conçu par David Adjaye, l’architecte ghanéen de renommée internationale, est en cours de construction. Grâce à la collaboration des secteurs public et privé et au soutien international, le musée pourra, espérons-le, accueillir ces œuvres prochainement.
Outre les musées publics, de riches particuliers au Nigeria et dans d’autres pays d’Afrique investissent massivement dans des infrastructures culturelles privées telles que les musées, qui viendront épauler les institutions publiques dans la préservation de ce patrimoine artistique restitué.
La restitution, par définition, consiste à rectifier les choses au regard d’un tort perçu. Cela devrait nous inciter tous et toutes à travailler ensemble avec honnêteté pour y parvenir sans tolérer la perte d’une partie de notre patrimoine artistique mondial.
La promesse de l’Allemagne de restituer certaines de ces œuvres d’art longtemps attendues devrait, espérons-le, se faire au rythme d’un plan concret et régulier qui encouragera d’autres institutions et pays volontaires qui tergiversent aujourd’hui encore à reconnaître l’impératif de mener à bien ce processus.
Ozolua Uhakheme, journaliste et critique d’art
La restitution des artefacts est une avancée bienvenue, car la bataille pour le retour de ces objets a été longue et compliquée.
La question est de savoir comment authentifier l’originalité de ce qui est rendu ? Dans quelle mesure les musées sont-ils prêts à accueillir les œuvres dans des conditions propices ? Qu’en est-il de la main d’œuvre pour les conserver ? Comment la sécurité de ces objets sera-t-elle assurée à leur retour ? Quelle valeur leur accordons-nous réellement ?
Ce sont des questions auxquelles la National Commission of Museum and Monuments (NCMM) apportera des réponses. Cependant, il existe un autre argument selon lequel ce que l’Occident restitue est comme une peau de banane après avoir mangé le fruit qu’elle protège. L’Occident sera-t-il prêt à payer des intérêts sur les revenus tirés de ces objets au cours des dernières centaines d’années ?
Adjaye Associates a conçu le Edo Museum of West African Art.
Mayo Adediran, administrateur musée
Cette évolution est une bonne nouvelle. Maintenant, le gouvernement nigérian devrait se trouver au centre de cette initiative et devrait habiliter le ministère de l’Information et de la Culture, dont dépend le musée, et le ministère des Affaires étrangères à recourir à toutes les voies diplomatiques internationales possibles, par l’intermédiaire de l’UNESCO, des Nations unies et des relations bilatérales, pour obtenir le retour de ces artefacts, non seulement d’Allemagne, mais aussi d’autres pays.
Garder ces objets (bronzes) loin de nous, c’est priver nombre de personnes de la possibilité de déconstruire ces œuvres d’art, alors que les Européen·nes ont utilisé nos anciens objets d’art pour créer de nouvelles œuvres dans leur pays. Si nous continuons à les garder là-bas (en Europe), les pays en tireront profit de manière multilatérale, tandis que nous y perdrons.
Prince Yemisi Shyllon, collectionneur
Je redoute un effondrement de la valeur de ces œuvres. Je dis « effondrement », dans la mesure où ce qui pousse nos compatriotes à réclamer la restitution de ces objets, c’est précisément leur grande valeur.
La valeur élevée que ces œuvres suscitent au niveau mondial va baisser, elle va s’effondrer, et non pas juste baisser.
J’ai toujours soutenu que nous devions nous mettre d’accord avec les personnes qui détiennent nos objets ethnographiques et archéologiques et se tourner d’abord vers l’intérieur. Tout en regardant vers l’intérieur, cet accord devrait nous donner le titre légal de ces œuvres, et donc attirer des redevances sur une base régulière jusqu’à ce qu’un programme de supervision parrainé par l’UNESCO soit mis en place pour s’assurer que ces œuvres reçoivent le même niveau d’attention qu’elles ont toujours reçu dans d’autres parties du monde. Ce n’est que lorsque cette équipe de supervision aura confirmé que le pays est bien prêt à les recevoir, que les artefacts devront être restituées.
Peju Layiwola, professeure en art et artiste.
Je pense que c’est une bonne chose que l’Allemagne ait réalisé qu’elle ne peut pas continuer à détenir nos œuvres d’art. Apprendre à connaître sa culture depuis l’extérieur a quelque chose de fondamentalement inacceptable.
Pour remédier au manque d’intérêt de la part de la population nigériane après le retour des objets, il faudrait réfléchir à des moyens plus créatifs de montrer ces objets. Je pense que les personnes impliquées dans leur processus de réception devraient réfléchir à des stratégies pour sensibiliser le public à ces œuvres une fois qu’elles auront été rendues.
Oliver Enwonwu, curateur, artiste
C’est une bonne nouvelle, il faut espérer que la commission ne se contentera pas seulement de restituer les œuvres, mais qu’elle s’associera aux autorités nigérianes pour veiller à ce qu’elles soient correctement exposées et conservées, qu’elles continuent à faire partie de notre patrimoine. C’est aussi un moyen de développer les liens interculturels entre les deux pays et d’y initier de meilleures opportunités de développement. Je pense que cette initiative incitera les autres pays à suivre l’exemple et à restituer d’autres objets.
Victor Ehikhamenor, artiste et auteur
L’Allemagne est le premier pays à faire ce type de démarche et c’est une bonne chose qu’elle fasse cet effort. Le fait que l’Allemagne prenne cette initiative et trouve la volonté politique de faire ce que la plupart des pays refusent encore, est une excellente chose. Je pense que cette démarche encouragera d’autres pays à reconsidérer leur position quant à la restitution des objets pillés en 1897. Cela donnera également un point de référence aux nations qui hésitent ou à celles qui n’ont pas la volonté politique de restituer les objets pillés. C’est formidable.
Obidike Okafor – auteur dans le domaine de l’art
Je me réjouis du retour des objets au Nigeria. La seule façon de se développer en tant que peuple dans n’importe quelle partie du monde est de comprendre sa culture et son histoire, mais il est impossible de les comprendre lorsque les « leçons » se trouvent ailleurs. J’espère seulement que cette initiative ne s’achèvera pas avec la restitution des objets, mais qu’elle se poursuivra à travers une collaboration, où les gouvernements allemand et nigérian feront tout ce qui est en leur pouvoir pour que les artefacts ne perdent pas leur valeur suite à leur changement de lieu. Selon moi, c’est ce qui devrait motiver ce beau geste.
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