Avec Bonaventure Soh Bejeng Ndikung à sa tête, secondé par une équipe de commissaires comptant Aziza Harmel, Astrid Sokona Lepoultier et Kwasi Ohene-Ayeh, ainsi que les conseillers artistiques Akinbode Akinbiyi et Seydou Camara et le scénographe Cheick Diallo, la 12e édition des Rencontres de Bamako est l’une des plus substantielles à ce jour. La liste des artistes est tout autant impressionnante, riche de 85 artistes et collectifs qui reflètent une expérience et une culture africaine marquée par sa dimension planétaire et sa complexité. L’écrivain malien de Bamako Ousmane Diarra a commenté les particularités de cette édition.
Une manifestation forte de solidarité africaine dont le Mali saura se souvenir
Les Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie – se sont imposées sur la scène internationale comme l’un des grands rendez-vous du monde de la photographie vers lequel tous les artistes photographes du continent et sa diaspora convergent pour célébrer cet art majeur.
En raison des attentats meurtriers et des massacres de populations civiles et militaires dans certains pays du Sahel, la tenue de cette 12e édition comportait de sérieux défis. On pensait que peu d’artistes auraient été tentés par le voyage jusqu’à Bamako. Surtout lorsque l’on sait que les cibles « prioritaires » des tueurs sont les artistes, plus particulièrement ceux qu’ils appellent « les gens de l’image », donc les photographes, les peintres et les sculpteurs, qu’ils accusent de « vouloir imiter Dieu ! »
Ce défi a été relevé haut la main. D’abord par les artistes eux-mêmes, qui ont bravé le climat de terreur que les terroristes s’évertuent à semer sur tout le continent africain. Les artistes photographes et les amoureux d’art ont afflué à Bamako, chargés de leurs œuvres, et ont investi les lieux : musées, galeries, centres culturels, établissements scolaires. Comme pour faire écho au titre de l’exposition d’Aziza Harmel « S’en fout la mort ! » Et aussi pour répliquer à ceux qui sèment la terreur et de la désolation : « C’est nous les plus forts, les plus braves. La preuve en est qu’avec nos seuls appareils photo, nous vous foutons la trouille, à vous qui ne savez que faire « pleurer la Kalach » à tout bout de champ. C’est une manifestation de solidarité que le Mali ne saurait oublier.
Des photos qui nous invitent à nous regarder droit dans les yeux
Mais avant, la lecture du catalogue et la vue des photos m’ont rappelé ce vieillard de Bassala qui, un jour, dans mon hameau du nord-ouest du Mali, m’avait demandé de l’aider à écrire son chagrin dans une lettre qu’il adressait à son fils parti à l’étranger. J’avais 15 ans et tout ce que j’ai pu écrire était : « Ton père te demande de regarder ses larmes couler… » Si j’avais été un photographe avec son appareil, j’aurais été un peu plus expressif, plus convaincant ! Mieux, les photos que j’aurais prises des mots du vieillard auraient peut-être pu contribuer à mieux expliquer les misères de la migration !
C’est pour dire que la photographie, en tout cas pour moi, ne se résume pas à la fixation d’une image à travers l’objectif d’un appareil – ce qu’elle n’a jamais été d’ailleurs, sinon, tout le monde serait devenu un Seydou Keïta, un Malick Sidibé et tant d’autres.
Autrement dit, la photographie requiert un acte de création, c’est un art à la fois singulier et global, qui exige la rigueur et la profondeur de la pensée du philosophe, le talent et la sensibilité du poète ou du musicien, la créativité du peintre ou du sculpteur. Toutes ces choses que l’on retrouve dans les expositions et le catalogue de cette 12e édition de la Biennale africaine de la photographie.
Toutes les thématiques chères à l’Afrique et à l’humanité y ont été revisitées : l’histoire malgré l’esclavage, la colonisation et l’Apartheid ; et l’actualité brulante avec la migration, le terrorisme, la condition de la femme.
Les photographes confirmés comme les jeunes nous ont émerveillés avec leurs talents d’inventivité et de créativité, en dévoilant l’immense richesse culturelle du continent africain.
Bravo à tous les artistes et aux organisations impliquées, et longue vie aux Rencontres de Bamako !
La 12e édition des Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie se tiendra jusqu’au 31 janvier 2020.
Ousmane Diarra, écrivain. Diplômé de l’École normale supérieure de Bamako (Lettres modernes), Ousmane Diarra est romancier, poète, nouvelliste et conteur. Il a publié aux Éditions Gallimard La route des clameurs (en 2014, et 2020 en folio), Vieux lézard et Pagne de femme. Il a également publié des recueils de nouvelles et de poésie, ainsi que plusieurs livres pour la jeunesse, au Mali comme en Europe. Ousmane Diarra travaille à l’Institut français du Mali comme bibliothécaire.
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