Berhanu Ashagrie Deribew, head of the Alle School of Fine Arts and Design at Addis Ababa University since 2012, caught up with Tibebeselassie Tigabu to talk about the progress the school is making.
Dans la série Curriculum of Connections, nous souhaitons réunir la diversité des voix, des idées et des projets allant dans le sens de pratiques éducatives, artistiques et axées sur la recherche. Dans cet espace, nous apprenons, nous désapprenons et nous explorons ensemble les anciens et les nouveaux territoires des systèmes de savoir, des collaborations et de l’imagination.
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Alle School of Fine Arts and Design, l’unique école d’art d’Éthiopie, a accueilli à elle seule d’éminents artistes. Depuis plus de cinquante ans, elle apporte en effet sa contribution à la communauté artistique. Tous les peintres, sculpteurs, designers et graveurs les plus renommés ont un jour franchi les portes de cette école. Fondée par Alle Felegeselam, une des plus grandes figures artistiques de l’Éthiopie, l’école a connu de nombreux soubresauts. Menée par une nouvelle garde, l’université est aujourd’hui en proie à d’importantes transformations. En poste depuis plus d’un an, Berhanu Ashagrie, doyen de l’Université d’Addis Ababa et de la Alle School of Fine Arts and Design, s’est entretenu avec Tibebeselassie Tigabu sur le développement entrepris par l’école.
Tibebeselassie Tigabu: Pourquoi avez-vous réalisé les travaux qui avaient été planifiés avant votre prise de poste comme directeur de l’école ?
Berhanu Ashagrie : Les choses ne se passent pas toujours comme elles le devraient. Si certaines d’entre elles peuvent en apparence sembler simples, leur mise en pratique laisse apparaître des difficultés. Nous avons eu des problèmes au niveau du programme scolaire qui ne sont pas encore résolus. Nous travaillons actuellement à la révision du programme. Celui-ci ne comporte pas suffisamment d’éléments théoriques. Le rapport entre la théorie et la pratique est de 10 contre 90. Les étudiants sont peut-être intelligents mais ne sont pas compétents. Et je ne parle pas à niveau international, car rien que sur la scène locale, la plupart d’entre eux ne sont ni compétents, ni professionnels. Ils sont incapables d’appréhender et d’expliquer pleinement leurs travaux. En 2010, nous avons revu le programme scolaire. Notre idée était alors d’élargir la partie théorique à hauteur de 30 pourcents. Bien que nous ayons connu des difficultés avec les étudiants, mais aussi avec les professeurs, nous avons maintenu ce cap. Et en 2012, nous avons entrepris la seconde révision du programme sur une période de trois ans. Notre système d’enseignement était lui-aussi trop fermé, si bien que nous avons essayé de lui conférer une dimension internationale. Aujourd’hui, nous travaillons avec huit institutions internationales. Les étudiants ont ainsi la possibilité, dans ce cadre, de questionner le travail de l’artiste contemporain ou le parcours qu’il peut suivre. Des ateliers et des débats viennent compléter le programme scolaire. Nous planifions également de créer un programme d’échanges.
Tibebeselassie : Que prévoyait la nouvelle version du programme scolaire ?
Berhanu : Nous avons développé certains cours en leur apportant une dimension internationale. Nous avons aussi fait venir des professeurs expatriés pour combler le fossé en matière de compétences. Les cours existants à orientation principalement pratique se sont en outre complétés d’éléments théoriques. Et les cours qui ne comportaient pas de développements contemporains ont été, pour certains d’entre eux, éliminés.
Tibebeselassie : Comment était l’école à ses débuts ? De quelle manière a-t-elle évolué ?
Berhanu : À cette époque l’école n’était pas encore très fréquentée. Alle Felegeselam, qui avait étudié dans un établissement américain pendant le régime de l’Empereur Haïlé-Sélassié Ier, fonda l’école avec le concours de l’empereur à son retour. Les peintres qui, à cette période, étaient chargés des peintures et de l’iconographie traditionnelles des églises, raillèrent les rangs. Des artistes en herbe, des soldats et des professeurs leur emboîtèrent le pas. L’école ambitionnait alors principalement d’enseigner « l’art moderne ». C’est ainsi qu’elle proposa des cours de peinture, de dessin et des arts graphiques. Avec le temps, ces cours se sont étendus et de nouveaux cours sont venus les compléter. L’école compte aujourd’hui cinq départements : peinture, confection d’estampes, sculpture, design et enseignement artistique. Et de tels changements sont déjà considérables. La terminologie a également évolué et les professeurs ont suivi le mouvement pour élargir leur champ de vision et s’ouvrir davantage. L’école continue de se transformer. Lorsqu’elle fut constituée, elle s’appelait Addis Ababa Art School (Ye Addis Ababa Sinetibeb Timhirtbet) avant de prendre, il y a peu, son appellation actuelle, Alle School of Fine Arts and Design. Elle est désormais affiliée à l’Université d’Addis Ababa et a déjà connu ses plus grands bouleversements.
Tibebeselassie : Les étudiants participent-ils à de nombreux ateliers, projets ? Et sont-ils encouragés à expérimenter leur art pendant leur formation ?
Berhanu : Tout cela n’est pas facile à mettre en place. J’étais moi-même étudiant, il y a sept, huit ans. Nous n’avions pas d’autre choix. La plupart des professeurs étaient d’un âge très avancé et tous suivaient le programme à la virgule près. Tout était limité. Aujourd’hui les étudiants jouissent d’une certaine liberté après la troisième année. On leur propose un sujet de dimension expérimentale et ils peuvent utiliser tous les moyens d’expression possibles, et réaliser ce qu’ils veulent. On ne peut néanmoins pas dire qu’ils soient totalement libres puisqu’ils sont limités en termes de « matériaux ». L’art contemporain est exigeant et requiert de disposer de matériaux et d’espace. Bien que les étudiants soient limités du fait que ces deux composantes restent inaccessibles, ils ont conscience que cela est possible.
Tibebeselassie: Quel type de système préconiseriez-vous pour les étudiants en devenir ?
Berhanu : L’école les pousse jusqu’à un certain niveau. Mais une fois diplômés, ils se retrouvent seuls. Nous ne sommes plus en mesure de contrôler les choses. Nous ignorons le chemin que la plupart de nos étudiants prennent par la suite. Je pense que cela [le fait de suivre l’orientation prise par les diplômés] devrait relever du gouvernement, mais aussi de la municipalité. Nous ne pouvons pas nier les efforts consentis par certains artistes qui se montrent citoyens, mais cela doit être pérennisé. Dans de nombreux pays, les artistes sont soutenus par un grand nombre de fondations. Leur gouvernement leur consacre également un budget à cette attention. Mais ici, nous n’avons rien de tout ça. Il serait bien qu’un système soit mis en place pour soutenir ces artistes et leur offrir une alternative. Ils deviennent plus particulièrement vulnérables l’année qui suit l’obtention du diplôme. Si un fidéicommis ou une fondation pouvait les prendre en charge et les habituer à s’ouvrir au monde extérieur, ils sauraient quelle voie suivre. Ils sont nombreux à lutter et nombreux à se perdre, mais certains restent dans la lutte.
Tibebeselassie : Comment l’art contemporain est-il appréhendé ? Pensez-vous que le public est « élitiste » et ne le comprend pas ?
Berhanu : Pour bon nombre de gens, « l’art non conventionnel » ne peut pas être classé comme art. Pourtant, ils réagissent bien quand ils le voient. Le niveau de compréhension est variable. Ils le remettent en question, y réfléchissent et y répondent, même si la manière dont ils le perçoivent peut s’écarter de l’idée que l’artiste souhaite faire passer.
L’art contemporain ne prend pas de forme spécifique et, au final, ne peut pas – d’un point de vue commercial – être réalisable, vendable ou achetable. Il n’est pas, par exemple, possible de vendre une vidéo de l’art.
Contrairement à un tableau, elle n’est pas est bidimensionnelle. C’est la raison pour laquelle cette forme artistique ne peut être développée et séduit peu les artistes. Elle est coûteuse et ne garantit aucun retour financier. Dans le cas d’une performance, celle-ci prend fin dès lors qu’elle a été présentée. C’est pourquoi nous avons besoin que des philanthropes soutiennent et inspirent les artistes. En premier lieu, nous avons besoin du soutien du gouvernement. Ce dernier oblige les artistes à payer les mêmes taxes que les entreprises. Cette question est tout à fait cruciale. Partout on constate ce manque de compréhension. Cela implique que les différentes parties prenantes et les artistes doivent sérieusement se mettre au travail.
Tibebeselassie : Quel type de système pourrait-on envisager pour ces artistes ?
Berhanu : L’accès aux matériaux doit être facilité, des activités parascolaires doivent pouvoir être organisées. Il faut également lever les contraintes qui affectent le budget et les ressources de l’institution. Le système éducatif est très difficile. Autrefois, les étudiants qui s’engageaient auprès de ces institutions avaient davantage d’expérience et possédaient des talents qu’ils cherchaient à explorer. Pour les étudiants d’aujourd’hui, l’art se rapproche du tourisme, et c’est pour cela qu’ils doivent pouvoir l’appréhender différemment. Les artistes doivent également interagir entre eux. Il est en outre important qu’il existe des institutions qui acceptent des étudiants en cours de titularisation.
Par exemple, le Netsa Art Village contribue au développement de l’art ; il inspire et dynamise les gens. Le changement est donc prometteur. D’ailleurs, nous allons démarrer un programme de master consacré à la production de films et aux beaux-arts.
Tibebeselassie Tigabu travaille comme journaliste et rédactrice adjointe au journal The Reporter, à Addis-Abeba où elle réside.
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