Stacy Hardy about Peter Clarke's Fanfare series
Le thermomètre affiche 30° le jour où je me rends à l’exposition de groupe Fiction as Fiction à la galerie Stevenson dans le quartier de Woodstock au Cap. Dehors, la rue est dominée par l’habituel mélange de chaleur et de poussière, de pauvreté et de sordide qui jure avec la froide austérité, le verre et le marbre polis du centre commercial aux multiples étages et espaces. S’y ajoutent le joyeux désordre des rues de la ville où les BMW des nouveaux riches progressent au pas entre les minibus taxi klaxonnant bruyamment, et la foule de piétons en sueur, les magasins d’usines et les stylistes, l’huile sur la chaussée goudronnée, l’air qui sent le poulet frit, la poussière et les gaz d’échappement.
Ainsi sommes-nous, ici : sans cesse à balancer entre pauvreté et prospérité, ultra moderne et délabrement, à détruire et reconstruire l’histoire. La galerie elle-même est un ancien entrepôt reconverti, une salle monacale sans aucune source de lumière naturelle, dont les murs blanchis à la chaux permettent au public aisé de la ville de laisser un moment devant la porte les questions conflictuelles de biens matériels, race, propriété et mutations.
Peut-être est-ce la froide austérité de l’espace qui instinctivement m’attire en direction d’une série de motifs dynamiques en demi-cercle occupant tout un mur de la galerie. Ces collages en forme d’éventail qui assument sans honte leur allégresse, font partie de la série Fanfare de Peter Clarke. Comme le titre le suggère, Fanfare est une fête ravie de ravir le spectateur avec des images surréelles, des couleurs éclatantes, de brusques renversements et de soudaines explosions. Mais ce n’est pas seulement l’acte créateur que célèbre ici Clarke : recourant à un décalage habile entre l’artiste et le sujet, la création et le créateur, il se présente sous forme d’éventail : admirateur, ardent adepte rendant hommage aux personnages historiques, bibliques et littéraires, tout comme aux gens ordinaires qui l’inspirèrent tout au long de cinquante années d’une immense carrière.
Parfaitement autodidacte, Clarke refuse d’imposer toute limite au travail de création artistique et il a délibérément recours à une approche utilisant un minimum de technique, en réplique au succès croissant des modes d’expression conceptuels et d’une forte valeur de production. Il utilise des pages arrachées dans des magazines et des livres mis au rebut, tout comme divers moyens plastiques parmi lesquels le stylo, le marqueur, la peinture, le crayon, l’encre, tous se superposant les uns sur les autres pour devenir des images faisant écho aux différentes couches culturelles complexes qui composent la rue.
Il n’est alors peut-être pas surprenant que le projet n’ait pas été célébré en fanfare par les critiques d’art ici en Afrique du Sud, où on l’a jugé plus « pseudo artistique qu’artistique », plus prosaïque que profond. Sans être inexacte, une telle lecture fait preuve de mauvaise foi. Oui, les travaux de Clarke ont quelque chose d’artisanal mais ils sont aussi subtils ; petits et fantaisistes, certes, mais tirant leur grandeur de cette fantaisie contenue dans des dimensions modestes.
Sans fanfare, de la manière la plus simple qui soit, Clarke aborde l’inexplicable à petites doses nous faisant redescendre vers une toute autre sorte d’immensité. En dépit de son âge (né en 1929), son esprit éminemment vif lui permet de mélanger l’étrange au familier, de connaître des fulgurances poétiques, avec un texte trouvé pour percer le mystère qui sommeille sous la surface des choses, et de mettre en évidence un monde rempli de mille petits miracles bizarres et fragmentés.
Fanfare est alors un voyage à travers l’ « anti-miracle » du passé douloureux de l’Afrique du Sud. Elle part sur les traces de personnages historiques, parfois plus ou moins fictifs, (escrocs, artistes, criminels, activistes, rois, fantômes, princesses de contes de fée, amis, amants qui se croisent et s’entrecroisent) pour exhumer et amplifier des moments infimes de musique, bravoure, beauté et rédemption presque impossibles face à la tyrannie et la répression.
Cette vision microcosmique et morcelée forme un contrepoint saisissant au grand miracle manqué de la nation arc-en-ciel qu’aurait pu être l’Afrique du Sud. Simultanément, l’allégresse intense des œuvres arc-en-ciel de Clarke ouvre une autre voie possible, subversive, autre que celle du cynisme et de l’amertume, de plus en plus présents dans une grande partie de l’art sud-africain. Face au pessimisme ambiant, Clarke fait front à la catastrophe et pose un regard aimant sur le monde. Qu’il ait trouvé des miracles n’est donc pas un si grand prodige.
Stacy Hardy est une auteur vivant au Cap. Elle est rédactrice en chef adjointe de la revue panafricaine Chimurenga. Elle a également écrit dans diverses publications, dont Donga, Pocko Times, Art South Africa, Ctheory, Black Warrior Review, Evergreen Review, sans oublier Chimurenga. Son court métrage I Love You Jet Li, réalisé en collaboration avec Jaco Bouwer, a fait partie de la sélection vidéo de la transmediale.06: et a reçu le prix du meilleur film expérimental au Festival Chileno Internacional Del Cortometraje De Santiago 2006. Un recueil de ses fictions est à paraître chez Pocko Editions, Londres.
Pour voir la série Fanfare de Peter Clarke : www.stevenson.info/exhibitions/clarke/clarke.htm
Un entretien avec Peter Clarke portant sur Fanfare : www.stevenson.info/exhibitions/clarke/essay.htm
L’exposition de Peter Clarke Wind Blowing on the Cape Flats est visible à l’Iniva (Institute of International Visual Arts) de Londres jusqu’au 9 mars. www.iniva.org
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