C& s'entretient avec Ugochukwu-Smooth C. Nzewi, comissaire d'exposition de Dak'Art 2014.
C& : Les noms des artistes sélectionnés pour le Dak’Art de cette année ont finalement été révélés. Combien de candidatures avez-vous reçues ? Et comment vous et vos collègues Élise Atangana et Abdelkader Damani avez-vous procédé pour faire la sélection ?
Ugochukwu-Smooth C. Nzewi : Nous avons reçu plus de 700 candidatures, un nouveau record pour Dak’Art. Cela montre que de nombreux artistes font à nouveau preuve d’optimisme à l’égard de la Biennale et de sa nouvelle administration. L’équipe de curateurs a suscité leur enthousiasme, ce qui était aussi un signe encourageant. Les porte-feuilles des artistes étaient d’une grande qualité et d’une grande diversité. C’est vraiment le résultat d’un long chemin parcouru par l’art contemporain africain, par les artistes et par le Dak’Art depuis 1992. Le nombre élevé de candidatures allait de pair avec les défis à relever, en particulier sur le plan des critères de sélection. Cependant, notre souhait était de choisir des oeuvres qui nous permettraient de présenter un récit fascinant et exhaustif des caractéristiques contemporaines et simultanément de refléter notre thème Produire le commun. Nous avons finalement sélectionné des artistes dont les travaux offrent des vues complètes de l’idée du commun à partir d’une multitude de points de vue. Ces œuvres présentent suffisamment d’éléments de réflexion.
C& : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les artistes qui participent au Dak’Art ?
USN : Tous les artistes y participent pour la première fois. C’est une décision que nous, je veux dire l’ensemble des curateurs, avons prise en toute connaissance de cause pour faire table rase et repartir sur de nouvelles bases. Nous savions que certains artistes avaient participé à la Biennale plusieurs fois et avons décidé de supprimer ce recyclage improductif. Pour une biennale qui se veut plate-forme internationale offrant une visibilité aux artistes africains et issus de la diaspora africaine, la présence répétée de certains artistes lors des précédentes éditions n’avait plus beaucoup de sens. Cela dénotait, pour l’exprimer plus clairement, un désintérêt pour l’histoire de la Biennale de la part des curateurs précédents ou une tendance à ce que j’ai décrit comme le trafic de la reconnaissance des noms, aussi connu sous le terme de culte des artistes célèbres. Peut-être que c’est l’historien en art que je suis qui s’exprime ici. Cependant, l’important pour nous était de présenter une palette équilibrée de jeunes artistes, d’artistes sur le chemin du succès et d’artistes déjà reconnus afin que la Biennale soit considérée comme un événement qui remplit son objectif premier. C’était très clair dès notre première rencontre l’année dernière.
C& : Vous invitez les artistes à explorer les notions qui tournent autour de la diversité culturelle et des intérêts communs. Pourquoi vous êtes-vous concentrés sur ces thèmes-là ?
La Diversité culturelle est l’une des plate-formes officielles de l’exposition de Dak’Art 2014. Cela revient aussi dans l’autre thème de la Biennale Produire le Commun. Cependant, le curateur est une personne différente. Je ne suis pas la personne idéale pour vous en parler. Mais si je peux me permettre de faire un commentaire, l’exposition sur le thème de la diversité culturelle offre une plate-forme qui permet de reconsidérer les valeurs de la civilisation universelle de Senghor pour ce qu’elles valent. Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal indépendant, pensait que la grandeur des civilisations reposait sur leur nature mixte et interdépendante, c’est-à-dire leur aptitude à tirer des éléments concrets et créatifs à partir de cultures multiples. Les cultures du monde, avait-il ajouté, doivent contribuer à une civilisation universelle englobante basée sur des relations symbiotiques et le respect mutuel. D’une part, je pense que l’exposition sur la diversité culturelle qui réunit des travaux d’artistes africains et non africains correspond bien aux détails de la civilisation universelle senghorienne. D’autre part, l’exposition essaie de faire un certain retour historique au Dak’Art 1992, le Dak’Art inaugural auquel avaient participé des artistes de différentes cultures issus du monde entier.
En mon nom et probablement au nom d’Abdelkader et d’Élise, j’ajouterai que Produire le Commun est une autre façon de considérer les mérites et les défauts de la civilisation universelle en quelque sorte, et ce à la lumière de la production culturelle contemporaine et de la mondialisation. Nous nous intéressons davantage à la notion du commun en tant que processus unificateur, édifiant et généreux, activement engendré dans le contexte d’une production culturelle mais qui tient compte de ce qui est communément appelé l’aspect politique et économique de la sociabilité. Notre monde est actuellement dirigé par l’individualisme poussé, la consommation et l’accumulation excessive de capital. Nous voulons à nouveau concentrer notre attention sur un esprit positif de l’interaction et de la coexistence entre les hommes. Nous pensons que le domaine des arts nous permet de repenser les valeurs de la communauté et du sacrifice dépouillé de tout idéalisme ou de son contraire, le cynisme. Les artistes ont été sélectionnés en fonction des réponses instructives que leur œuvre apportait aux signes de notre époque et aux idées concernant les communs. Dak’Art 2014 est conçue comme un processus actif de production du commun de la part de la Biennale, des curateurs et des artistes en relation avec des publics variés au niveau local, régional et international. Nous espérons que la manifestation du sujet transparaîtra aux yeux des visiteurs dans les œuvres et la structure de la Biennale.
C& : En ce qui concerne Dak’Art et le OFF, dans quelles mesures seront-elles complémentaires l’une de l’autre ?
USN : La version OFF fournit un espace alternatif aux artistes qui n’exposent pas dans le cadre officiel de Dak’Art et leur permet ainsi de participer à la Biennale. Lors des éditions précédentes du Dak’Art, de nombreux artistes ont d’abord exposé au OFF avant de réussir à rentrer dans les expositions du IN par la suite. D’autres artistes ayant participé aux principales manifestations avaient aussi été actifs dans l’édition OFF des autres itérations de la Biennale. C’est une stratégie pour maintenir leur visibilité pendant la durée du Dak’Art. Au cours des vingt dernières années, l’édition OFF qui n’était, à l’origine, qu’une série non coordonnée de manifestations en marge du IN s’est transformée en une extension complémentaire et essentielle du Dak’Art officiel. La version OFF fournit une expérience de la Biennale qui met au défi mais correspond aussi aux événements officiels. En plus des artistes locaux et africains, des artistes non-africains ont participé au OFF au cours de ces dernières années, ajoutant une couche de complexité à ce que signifie pour Dak’Art le fait d’être à la fois pan-africain et international. Dak’Art 2014 gardera le même cap. En fait, je prévois que les expositions du OFF seront cette année encore plus nombreuses qu’en 2012 où l’on comptait 350 manifestations indépendantes.
Ugochukwu-Smooth C. Nzewi, né au Nigeria, est artiste, conservateur, historien de l’art, et commissaire pour l’art africain au musée Hood, Dartmouth College, Hanover, aux États-Unis où il réside. Nzewi est curateur de Dak’Art 2014 avec Elise Atangana et Abdelkader Damani.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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