The media's huge interest in "contemporary African art" led us to the idea of forwarding journalists questions about "the new Hype" to artists, curators, directors, or advisors and ask for their personal opinion on what they think of it.
Depuis la sensation Venise-Angola, des journalistes se sont souvent adressés à nous pour nous poser cette question :
« L’art contemporain africain va-t-il devenir la nouvelle tendance ? Peut-on aller jusqu’à parler de HYPE, de battage médiatique? »
L’immense intérêt que portent les médias à cette nouvelle « hype » nous a donné l’idée, plutôt que de répondre nous-mêmes à la question, de la faire suivre aux artistes, commissaires d’exposition, directeurs ou conseillers artistiques afin de leur demander ce qu’ils en pensent personnellement :
Plus de vingt ans après que l’Occident a déclaré effrontément que l’art contemporain n’existait pas en Afrique, plus de vingt ans après l’organisation d’une longue série d’expositions à grand succès qui vendaient le continent la plupart du temps comme une marque exotique, vingt ans après la naissance de magazines pionniers tels que Third text (Londres), Revue Noire (Paris) et NKA (New York), il semble que le monde n’a que légèrement évolué. Comme si rien n’avait été fait pour anéantir les préjugés et les clichés jetant une ombre sur le discours critique produit par des artistes, des commissaires d’exposition, des critiques, des historiens et des chercheurs africains. L’art contemporain d’Afrique a connu son « heure de gloire » dans les années 1990. Lors du passage au troisième millénaire, il était largement reconnu et accepté que les productions artistiques d’Afrique n’étaient ni « authentiques », « traditionnelles », ni « belles à voir ». Ce sont les voix, les tripes et l’âme des gens qui ont quelque chose à offrir sur le plan théorique, conceptuel et esthétique. C’est un regard critique sur toutes les sociétés du monde, un regard que porte un groupe d’intellectuels et d’artistes qui viennent justement d’Afrique.
L’Afrique est « hype » ? C’est mignon. Après tout, il n’y a pas si longtemps, ils l’appelaient le Continent Sombre. Je suppose que nous devrions être reconnaissants de nous trouver sous les projecteurs aujourd’hui. Au cas où quelqu’un ne l’avait pas encore remarqué, c’est déjà le cas depuis très longtemps…
N’Goné Fall, commissaire d’expositions et critique d’art
Je ne suis pas certain que je parlerais de prochaine grande mode mais quelque chose est en train de se produire et il ne s’agit pas seulement d’une phase d’engouement ! Il existe actuellement une pléthore d’artistes, de curateurs mais aussi de galeries, d’espaces artistiques et de collectionneurs actifs sur le continent et ailleurs. Je pense que cela devait se produire tôt ou tard mais nous avions beaucoup d’autres choses à régler pendant la période post coloniale. Je suis persuadé que les conflits font émerger la créativité et l’art contemporain africain n’a pas échappé à la règle en se développant sans accroc, parallèlement à la géopolitique de la région. Nous sommes tout à coup en phase et c’est peut-être ce que tout le monde remarque. Cet été, la Tate Modern a enfin suivi ce mouvement avec des expositions d’artistes tels que le Soudanais Ibrahim el-Salahi et le Béninois Meschac Gaba. L’Angola a gagné le Lion d’Or du meilleur pavillon lors de la dernière édition de la Biennale de Venise, Ghanaian Lynette Yiadom-Boakye est sur la liste des candidats sélectionnés pour le prix Turner de cette année, l’exposition rétrospective en solo de l’artiste kenyan Wangechi Mutu a récemment ouvert ses portes au Brooklyn Museum de New York et reçu l’éloge des critiques et enfin, chez Christie’s, le paysage architectural de type mural de l’artiste éthiopienne Julie Mehretu, Retopsitics : A Renegade Excavation (2001) a été vendu pour la somme record de $4,603,750. Est-ce cela, la hype ? Je ne pense pas mais en tous les cas, un malheur n’arrive jamais seul.
Bomi Odufunade, consultante en arts
« La question présuppose que la période de l’art contemporain africain se situe dans le futur. Gardons ceci à l’esprit : en 2004, le magazine ArtNews posait la question de savoir si l’art contemporain africain était la « toute dernière avant-garde? ». C’était il y a bientôt dix ans. Et quelques années plus tard, un critique du New York Times se demandait ce qu’il arriverait quand le degré de “nouveauté” des oeuvres d’Anatsui déclinerait – en oubliant le fait que sa carrière s’étendait sur une période de plus de quarante ans. Les gens semblent avoir des difficultés à comprendre que les artistes africains ont bel et bien pris place à la table des grands, qu’ils y soient invités ou pas ! En outre, il n’y a aucun doute sur le fait que les œuvres des artistes africains comptent parmi les plus importantes et les plus engagées sur la scène internationale actuelle. »
Chika Okeke-Agulu, artiste, historien d’art, commissaire d’expositions et bloggeur
« Je ne dirais pas hype, cela sortirait des contextes contemporains et contribuerait à de nouvelles constructions narratives sur le retour à l’ « exotique ». Avant de le qualifier ainsi, nous avons besoin de bien comprendre nos histoires respectives, notre recherche sur le marché, l’éducation et la migration. D’après mon expérience, il y a de plus en plus de ventes aux enchères d’art africain, cependant, elles éprouvent encore des difficultés pour décrocher des ventes pour des sommes élevées. Les prix sont encore très bas et c’est ce qui suscite l’« engouement » actuel parce que les ventes sont de bonnes affaires ! Pour les collectionneurs, c’est le moment idéal pour se pencher sur ce type d’art car les prix des oeuvres sont inférieurs à leur valeur réelle. Il y a encore de grands défis à relever en matière de promotion de l’art africain contemporain, actuellement, il y a encore beaucoup plus de ventes dans le domaine des arts « tribaux ». Le marché contemporain est capable d’établir sa propre plateforme en ligne et ses réseaux à l’échelle internationale ; il constitue ses archives historiques comme jamais auparavant. Les questions qui se posent sont les suivantes : Comment pouvons-nous façonner un discours moderne sur le nouveau sans y apporter de regard colonial panoptique, comment le renforcer et combien de temps pouvons-nous le maintenir ?*
*L’art africain va se vendre en fonction de ce qu’il représente pour les grands collectionneurs, et cela pourrait dangereusement correspondre à des attentes souvent occidentales à l’égard de la pratique de l’art de tout un continent plutôt qu’à l’hommage de nations modernes possédant des milliers de cultures et de langues différentes. Si l’œuvre d’art « répond » à certains critères particuliers, elle se vendra mieux que quelque chose qui a été créé en suivant un concept. Ce n’est pas toujours comme cela mais rares sont les exceptions. Le marché de l’art en est encore « à ses premiers pas », il ne comprend pas vraiment très bien en quoi consiste l’art africain et doit évoluer au niveau des critères qu’il fixe, comme s’il s’agissait d’une étude anthropologique. Est-il possible de changer les attentes et les « goûts » des acheteurs pour qu’ils ne collectionnent pas des œuvres d’art à des fins de « décoration intérieure » mais plutôt comme des pièces permettant de réfléchir, d’apprendre, d’éduquer et de raconter une histoire ? Pour le moment, il semble que les plus grands acheteurs et collectionneurs viennent du continent africain, principalement du Nigeria. Nos économies sont plus fortes, notre population est en croissance et un réseau international de meilleure qualité a été développé. Les marchés de l’art africain luttent encore contre la marginalisation et contre le racisme. En qualité d’artiste, si vous êtes passionné, si vous faites preuve d’intégrité dans votre travail, de responsabilité et que vous avez des visions, vous continuerez à faire de l’art indépendamment de la direction dans laquelle évolue le marché autour de vous ».
Nathalie Mba Bikoro, artiste
Le fait que le marché international ne nous ignore plus ne veut pas dire que nous sommes la dernière tendance. A mon avis, l’intérêt actuel des médias peut être attribué à deux évolutions différentes mais néanmoins associées. D’une part, les luttes fondamentales menées par Okwui Enwezor et d’autres collègues il y a environ quinze ans ont en majorité enfin atteint leur objectif. Pour parler franchement, un public informé sait maintenant que les adjectifs contemporain et africain ne s’excluent pas mutuellement. D’autre part, environ une douzaine d’artistes individuels ont réussi seuls à se faire un nom. Pourtant, le succès de Julie Mehretu, Meschac Gaba, Wangechi Mutu, Nicholas Hlobo, El Anatsui et William Kentridge – tant auprès des critiques que sur le marché – ne reflète pas nécessairement la croissance de cette catégorie dans son ensemble. Je me méfie des intentions de toute personne prétendant le contraire… Nous ne voulons pas suivre les traces de la Chine.
Joost Bosland, Stevenson, au Cap
La recrudescence de l’intérêt pour l’art africain du continent et de la diaspora mérite d’être saluée pour deux raisons à mon avis. Premièrement, même si des progrès ont été réalisés en général au niveau social, les gens de couleur luttent encore pour obtenir la reconnaissance qui leur est due quand ils agissent au niveau international. Quand je prends un café dans le Starbucks du coin, les gens blancs s’accrochent à leur porte-monnaie de manière injustifiée, de crainte que j’aie les mains baladeuses. Ces petits événements quotidiens se traduisent en grandes actions quand des artistes noirs sont choisis pour faire une exposition dans un musée. Par conséquent, je me réjouis de cette reconnaissance tardive d’artistes (politiques) noirs lors de grands événements, en particulier parce qu’elle contribue à faire un petit pas vers un monde avec moins de préjugés. Deuxièmement, je salue ces actions tardives parce qu’elles permettent à des artistes tels que Zanele Muholi de bénéficier d’une reconnaissance internationale. Des artistes qui nous mettent au défi de nous observer nous-mêmes avec un regard critique. Pendant très longtemps, nous avons fait de la sexualité noire un sujet tabou, à éviter. Muholi nous met au défi de commencer à parler de ce qui nous satisfait sur le plan sexuel ; un énorme pas en avant au niveau politique.
Ato Malinda, artiste
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