Daniel Kojo Schrade est un peintre né en Allemagne célèbre pour son art rétrofuturiste empreint d’afrofuturisme. Travaillant aussi avec le dessin et la performance, Schrade a toujours intégré des éléments écrits dans ses œuvres – d’une grande pertinence conceptuelle –, soit en marge de motifs récurrents tels que la figure « afronaute », soit dans des compositions abstraites, non figuratives. Il exerce actuellement comme professeur d’arts et de lettres ainsi que de sciences de la culture au Hampshire College aux États-Unis. Nous nous sommes entretenus avec lui au sujet de l’indivisibilité de son travail d’artiste et d’enseignant, des différences entre les étudiants aux États-Unis et ailleurs, et de la façon dont il élargit sa conception de la complexité de la diaspora.
C& : Depuis 2008, vous enseignez au Hampshire College à Amherst après avoir enseigné en Allemagne et au Ghana. Quels sont les défis particuliers à relever dans l’enseignement d’étudiants américains ? Et quelles sont les différences principales entre les étudiants que vous avez eus dans ces pays ?
DKS : Les différences sont de taille. Le Hampshire College est une université d’arts libéraux qui exige par conséquent que les étudiants remplissent certaines conditions humanistes ou holistiques. Les étudiants qui se consacrent aux arts visuels doivent assister à un certain nombre de cours ou de séminaires en sciences sociales, lettres et en sciences naturelles. J’exige de ceux qui se spécialisent en studio art (atelier de pratiques artistiques) avec lesquels je travaille de suivre des cours de théorie de l’art, d’histoire de l’art, de philosophie et de sciences de la culture. Au Hampshire College, chaque étudiant élabore son propre programme avec l’aide de deux membres du corps enseignant de leur choix, parfois issus de domaines très différents. J’ai travaillé avec des collègues des études Africana pour développer un programme en critical race theory (« théorie critique de la race ») et en art de l’installation pour un étudiant par exemple. J’ai aussi travaillé avec un professeur de chimie à la mise en œuvre d’un programme pour un étudiant intéressé par la fabrication de peintures artisanales. Ces coopérations avec des collègues professeurs et les étudiants peuvent être de fortes sources d’inspiration, et elles ne se ressemblent jamais. Toutefois, il peut parfois régner une certaine mentalité consumériste liée au fait que les étudiants et leurs familles payent des frais de scolarité et d’université élevés dans les institutions américaines de l’enseignement supérieur. Tandis que les relations professeurs-étudiants peuvent être très stimulantes dans les universités allemandes ou les écoles d’art, les structures de leurs institutions sont radicalement différentes et ne sont donc pas vraiment comparables à celles d’une université d’arts libéraux américaine.
C& : Comment conciliez-vous votre carrière de professeur et celle de peintre et de performeur ? Dans quelle mesure l’enseignement influence votre carrière artistique ?
DKS : Je ne peux pas vraiment dissocier mon travail d’enseignant en art de mon travail d’artiste. Le programme ouvert du Hampshire College permet à mon travail artistique nourri de recherches intensives d’influer sur mon enseignement. Notre programme de studio art ne se déroule pas sur la base d’une structure de type « Peinture I, Peinture II, Peinture III ». J’enseigne à des classes comme « Intersections multimédia : projets en peinture, performance et art de l’installation » par exemple, ou « De Brueghel à Basquiat et Bradford ».
C& : Vous avez étudié en Allemagne et en Espagne. Certaines de vos séries les plus renommées comprennent Afronaut, Brother Beethoven et Made in Diaspora, qui comportent des références culturelles qui vous sont personnelles. Vous avez aussi été influencé par l’afrofuturisme américain et des artistes comme Sun Ra et Lee Scratch Perry. Comment vos expériences aux États-Unis ont inspiré votre œuvre et votre façon de penser depuis 2008 ?
DKS : S’il m’importe d’assister à des spectacles de George Clinton, Parliament-Funkadelic ou DJ Spooky, je ne peux limiter mes expériences et mes inspirations à un espace géographique comme les États-Unis. Je vis ici depuis quelque temps et me familiarise de plus en plus avec le travail d’artistes comme Maria Magdalena Campos-Pons, Julie Mehretu, le peintre amérindien Fritz Scholder, Miatta Kawinzi, Theaster Gates et Greg Tate, et je travaille parfois avec certains d’entre eux. Cela m’aide à élargir ma conception de la complexité de la diaspora.
C& : De façon générale, l’Allemagne a une longue tradition picturale établie tandis que les États-Unis ont été bien plus ouverts à d’autres médias. Comment votre pratique de la peinture s’inscrit-elle dans la tradition américaine de la peinture ?
DKS : En fait, on pourrait décrire mon travail comme rétrofuturiste empreint d’afrofuturisme au regard des thèmes dont je traite, mais je ne pense pas que l’on me voit ici comme un peintre rétro ou traditionaliste. Mis à part que mes techniques de peinture sont plutôt complexes, ces perceptions dépendent de toute façon toujours du contexte dans lequel on place une œuvre.
C& : Quelles sont les icônes afrofuturistes de demain ?
DKS : Je dirais Bernard Akoi Jackson, Miatta Kawinzi, Sondra Perry et Thomas Sankara.
Professeur d’art, Daniel Kojo Schrade a étudié en Allemagne et en Espagne. Il a obtenu son Master of Fine Arts à l’école des Beaux-Arts de Munich, en Allemagne.
Par Will Furtado.
Ce texte a été initialement commandé dans le cadre du projet « Show me your Shelves », financé par et faisant partie de la campagne d’une année « Wunderbar Together » (« Deutschlandjahr USA »/The Year of German-American Friendship) du ministère fédéral des Affaires étrangères.
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