Pavillion Belge dans La Biennale de Venis 2015

Le potentiel subversif des micro-histoires

Pour la première fois dans l’histoire de la Biennale de Venise, le pavillon belge expose les œuvres d’artistes africains

Le potentiel subversif des micro-histoires

Adam Pendleton, installation view. Photo: Alessandra Bello

By Katrin Peters-Klaphake

Pour la première fois dans l’histoire de la Biennale de Venise, le pavillon belge expose les œuvres d’artistes africains, aux côtés de celles d’artistes d’autres nationalités  ;  toutes explorent  les thèmes complexes et passés sous silence de l’expérience coloniale et de ses prolongements.

Cette année, le logo du pavillon belge pour la 56e Biennale Arte di Venezia me rappelle ces petites créatures animées à la mode dans les années 1990. Elles occupaient les premières consoles de jeux vidéo, avec un gros ventre, des  pieds minuscules et des yeux partout. Le logo m’évoque aussi le diagramme cellulaire d’un organisme simple comme en décrivent les livres de biologie. Son motif noir et blanc n’est pas non plus sans importance. J’ai retenu deux impressions de mes visites au pavillon – une sensation de monochromie en gris et la réminiscence d’un modèle d’église dû au plan au sol du bâtiment, avec sa vaste partie centrale et ses pièces latérales semblables à des absides.

Logo of the Belgian Pavilion

Logo of the Belgian Pavilion

L’histoire du pavillon et son lien avec l’histoire coloniale belge – dans le contexte d’une perspective internationale plus large et de la Biennale de Venise elle-même – sont des lieux d’investigation de l’exposition de groupe intitulée Personne et les autres, basée sur un travail de recherche. Le titre est emprunté à une pièce aujourd’hui  perdue d’André Franklin, critique d’art belge  proche du lettrisme et de l’internationale situationniste. Dix artistes originaires de quatre continents font partie de l’exposition, dont, fait plus notable encore et inédit dans l’histoire de la présence belge à la Biennale de Venise, des artistes venus d’Afrique.  Toutefois, la Belgique n’est pas la seule à s’affranchir de la tradition consistant à choisir  un ou deux artistes pour représenter un pays.  L’Allemagne, qui dans le passé avait suivi le schéma d’exposition avec un ou deux artistes, avait revisité la notion de contribution nationale en invitant quatre artistes internationaux lors de la 55e biennale en 2013, parmi lesquels le photographe sud-africain Santu Mofokeng.[1] Cette année encore, le commissaire Florian Ebner présente quatre projets artistiques signés Olaf Nicolai, Hito Steyerl, Tobias Zielony et Jasmina Metwaly & Philip Rizk.[2]

Initialement conçu pour être un temple des arts, le pavillon belge fut en 1907 le premier pavillon étranger construit dans les Giardini, l’un des espaces d’exposition principaux de la biennale. Au cours du siècle dernier, il subira plusieurs modifications architecturales. [3] La pertinence du pavillon en termes de représentation nationale trouve son expression visuelle  dans l’adjonction des armoiries de la Belgique en 1930, lesquelles ornent encore le portail aujourd’hui. Conjuguées avec les oculus disposés géométriquement sur la façade de pierres grises sans fenêtres, elles donnent à l’entrée l’aspect d’une forteresse.

Outside view of the Belgian Pavilion 2015. Photo: Press Belgian pavilion

Outside view of the Belgian Pavilion 2015. Photo: Press Belgian pavilion

Cette année, la place-forte a été reprise comme l’indique le drapeau noir pareil à celui de pirates portant l’inscription «  Black Lives  » – une référence au mouvement «  Black Lives Matter  » né des protestations soulevées par la violence policière aux États-Unis  – et signé  Adam Pendleton, un artiste installé à New York. Vincent Meessen, artiste né aux États-Unis, installé à Bruxelles et choisi pour représenter la Belgique, a demandé à la commissaire Katerina Gregos de développer conjointement un concept qui inclurait des voix et points de vue multiples. Ils ont ainsi invité Mathieu K. Abonnenc, Sammy Baloji, James Beckett, Elisabetta Benassi, Patrick Bernier & Olive Martin, Tamar Guimarães et Kasper Akhøj, Maryam Jafri et Adam Pendleton à participer, autant d’artistes partageant la volonté d’explorer les sujets complexes et a priori invisibles liés à l’expérience coloniale et à ses prolongements, fondés sur la notion d’un pluralisme de la modernité.

Sammy Baloji, Sociétés Secrètes. 2015. Photo: Peters-Klaphake

Sammy Baloji, Sociétés Secrètes. 2015. Photo: Peters-Klaphake

En redonnant corps à des relations et des individus oubliés par le biais de micro-histoires elles-mêmes réinscrites dans un enchevêtrement historique,  les œuvres font référence, dans cette exposition dense et ambitieuse, aux mouvements politiques et artistiques d’avant-garde tels que DADA, CoBrA, l’internationale situationniste ou le panafricanisme, les mouvements indépendantistes, le « Global 68’ » (l’impact de mai 1968 dans les pays du Sud). L’installation vidéo à trois canaux en boucle One.Two.Three. de Meessen occupe la place centrale de l’exposition. Elle révèle la participation largement méconnue des intellectuels congolais à l’internationale situationniste en racontant l’histoire d’un chant protestataire redécouvert et de son auteur, le situationniste congolais Joseph M’Belolo Ya M’Piku. L’exposition aux accents discursifs et poétiques ne se limite pas à créer des références entre les œuvres dans l’espace  ; elle établit aussi un lien avec l’exposition principale sur le thème « All the World’s Futures ». Tandis que le travail de Sammy Baloji Sociétés Secrètes, est lié à sa sculpture de cuivre The Other Memorial à l’Arsenal, la lecture en continu du Capital de Karl Marx, à quelques pas de là seulement dans le pavillon central des Giardini, trouve par exemple un écho dans la déclaration de M’Belolo  : «  La Belgique a colonisé le Congo, mais le capitalisme a colonisé la Belgique.  »

James Beckett, Negative Space, installation view. Photo: Alessandra Bello

James Beckett, Negative Space, installation view. Photo: Alessandra Bello

L’impression de monochromie évoquée précédemment provient de la domination effective des noirs, blancs et gris dans les installations monumentales de Pendleton et Beckett. Impression renforcée par les tons pratiquement naturels des os en plâtre de l’arrêt de tramway d’Elisabetta Benassi rendant hommage à M’Fumu  ; par le cuivre brillant et terreux à la fois des Sociétés Secrètes de Sammy Bajoli, les couleurs éteintes des vues aériennes historiques du panorama urbain colonial de Lubumbashi, les collections muséales de mouches et moustiques dans son Essay on Urban Planning ; par les couleurs minimales des tirages de Maryam Jafri s’interrogeant sur les photographies emblématiques de la  libération africaine. Et pourtant, l’exposition reflète réellement une impression sensorielle subjective qui résonne de la «  pulsion d’archivage  » mise en œuvre. Pour reprendre la métaphore de la cellule, l’exposition peut être considérée comme une structure riche en informations, déchiffrées ou encore latentes, sur nombre de versions entremêlées de l’histoire du monde, structure qui permettrait de mettre en lumière de nouvelles approches narratives et appréhensions subjectives.

56e Exposition internationale d’art – La Biennale di Venezia, 9 mai – 22 novembre 2015

Katrin Peters-Klaphake est commissaire de la Makerere Art Gallery/Institute of Heritage Conservation and Restoration, Makerere University, Kampala, et co-initiatrice du projet KLA ART

Références

Gregos, K. & Meessen, V. (Eds.) (2015). Personne et les autres. Vincent Meessen and Guests. Milan: Mousse Publishing

Verschaffel, B. (2013). 105 years later: the Belgian Pavilion. In R. Diener (Ed.), Common pavilions?: the national Pavilions in the Giardini of the Venice biennale in essays and photographs (pp. 23–26). Zurich, Switzerland: Scheidegger & Spiess. 

Foster, H. (2004). An Archival Impulse. In October 110, pp. 3-22.

The Venice Questionnaire 2015 #27: Vincent Meessen. In artreview

[1] The German contribution to the 55th International Art Exhibition – La Biennale Venezia 2013 – took place in the French Pavilion. Curater Susanne Gaensheimer showed works of Ai Weiwei, Romuald Karmakar, Santu Mofokeng und Dayanita Singh. 

[2]  Ebner further altered the German Pavilion considerably to overbuild the edifice’s National Socialist architecture. “Starting from their varied reflections on the notions of ‘work’, ‘migration’, and ‘revolt’, the four artistic positions transform the building into a factory, into a vanished, virtual factory of the imagination, into a factory for political narratives and for analysing our visual culture.” 

[3] In his historic analysis architecture theorist Bart Verschaffel concludes that the pavilion is again a “temple now not explicitly, or as allegory, but incarnated and hidden in sacred emptiness, divine whiteness, and wordless pure architecture.”

 

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