En conversation avec Pascale Marthine Tayou

« Je suis dans un espace qui observe de son petit coin. »

C& s'entretient avec l'artiste à propos de sa pratique.

« Je suis dans un espace qui observe de son petit coin. »

Pascale Marthine Tayou, BOOMERANG Installation view, 2015, Serpentine Sackler Gallery, London. Photo © READS

C&  : Le 130ème anniversaire de la conférence de Berlin a été commémoré à travers plusieurs interventions artistiques, notamment à Berlin. Que pensez-vous de ce genre d’interventions par rapport à cette page de l’histoire et de ses répercussions toujours présentes dans nos réalités contemporaines ?

Pascale Marthine Tayou  : Ce sont des évènements importants. Il faut voir l’attitude adoptée par les intervenants. Ce que proposent ceux-ci nous représente maintenant et pourra anticiper le monde de demain. Les projets sont liés à l’Histoire. Et là je me pose la question suivante  : quelle est ma participation à l’Histoire de demain ?

C&  : Quelles sont vos sources d’inspiration, de travail  ?

PMT  : Je suis né juste après l’Indépendance. On a une vie, on grandit, va à l’école, il y a le rêve des parents qui espèrent une chose, et progressivement on prend conscience de son environnement, on voyage physiquement, spirituellement. Donc ma situation est aussi très liée à mes interventions. Quelles sont mes sources ? C’est le quotidien, tout ce que nous avons, comme les informations visuelles, sensorielles, ce sont des rencontres. Cela construit nos besoins et nos limites.

Pascale Marthine Tayou, BOOMERANG Installation view, 2015, Serpentine Sackler Gallery, London. Image © READS

Pascale Marthine Tayou, BOOMERANG Installation view, 2015, Serpentine Sackler Gallery, London. Image © READS

C&  : Il y a vraiment un côté ludique qui se transmet à travers vos installations  –  par les couleurs, les formes etc.  –,   c’est comme si vous invitiez votre public à errer dans une aire de jeux. Quel est le rapport entre cette idée et les sujets plutôt «   sérieux   » tels que la politique, la religion ou l’écologie que vous faites passer à travers vos travaux ? 

PMT : Ce qui est important pour moi c’est d’abord de voir le côté simple des choses. Même si ces choses deviennent compliquées, de savoir les présenter en espérant que ces choses peuvent se transformer. Si je veux parler d’une blessure, je le ferai en parlant de la guérison en essayant d’apporter une forme de soulagement. Je vois mon travail plutôt comme un lubrifiant qui permet une entrée facile. Je suis plutôt dans l’idée de me placer là où le problème se trouve. C’est faire le tour des problèmes, comme un effet boomerang…

C& : Comment pourriez-vous définir votre rôle dans ce processus  ?

PMT : Je suis invisible dans tout cela, mais dans un espace qui observe de son petit coin, le petit grain de sable, j’observe ! Il y a des leaders, ceux qui portent le gros caillou qui porte tout le tas de sable. Mais le petit grain de sable fait aussi partie de l’ensemble. Cette opportunité de créer, c’est aussi de pouvoir raconter mes observations, mais je n’observe pas plus que d’autres.

Pascale Marthine Tayou, 2015 © Ben Pruchnie/Getty Images for Serpentine Galleries

Pascale Marthine Tayou, 2015 © Ben Pruchnie/Getty Images for Serpentine Galleries

C& : Vous avez choisi de présenter vos portraits-photos noir et blanc, dispersés ça et là sur les murs de l’exposition. Pourquoi ? Peut-on y voir un lien avec cette idée d’observation  ?

PMT : Sur la scène des artistes plasticiens, je deviens entre guillemets une étoile. Par le biais de la photographie, j’ai trouvé une réponse plastique pour cette étoile, cette image-là. C’est une photographie pour un passeport officiel, une carte d’identité, donc je décide de la casser. Quand on fait faire une carte d’identité, on ne sait pas qui réalise la photo. Je pose ces photos, je prends une arme et je tire dessus. C’est pour cela que cela s’appelle « shooting star  ». Je tue, j’assassine une vision de moi parce que je ne pense pas porter cette image que l’on se fait de moi, celle d’être un artiste.

C&  : Au Kunsthaus de Bregenz, votre exposition s’intitulait I love you!. Que signifie l’amour pour vous ?

PMT : L’amour c’est un chemin aller-retour. Si je t’aime, c’est que je dois divorcer de moi. Si j’entre dans un rapport amoureux avec quelqu’un, est-ce que je vais m’abandonner moi personnellement ? Je ne dois pas aimer chez l’autre ce que je suis. Je dois aimer l’autre parce qu’il est ce qu’il est. C’est ça l’amour ! « I love you » car tu m’aimes, tu m’adoptes. L’amour c’est en même temps un divorce. Le mystère de la vie est là.

Pascale Marthine Tayou, BOOMERANG, 4 mars  – 17 mai 2015, Serpentine Galleries, Londres.

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Propos recueillis par Aïcha Diallo

 

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