Célébrer la transition de l’apartheid à la démocratie:

La collection d’art de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud

C& s'entretient avec le juge Edwin Cameron, et l'activiste des droits de l'Homme Albie Sachs, sur la collection d'art de la coure constitutionnelle d'Afrique du Sud

La collection d’art de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud

Joseph Ndlovu, Humanity, 1994

By Richter Edwin Cameron und Justice Albie Sachs

À l’entrée de la cour constitutionnelle d’Afrique du Sud, située en plein centre de Johannesbourg, s’élève une sculpture représentant un homme attelé à un chariot. Le fardeau qu’il porte est celui d’un homme et d’une femme qui, pour leur part, reposent sur le dos d’un quatrième personnage agenouillé sur le chariot. À première vue, cette sculpture semble faire écho à l’histoire de l’esclavage qui a marqué le système de déshumanisation de l’apartheid. Pourtant à l’observer d’un peu plus près, la sculpture révèle un message plus complexe. Dumile Feni, son auteur, n’a pas souhaité différencier les quatre personnages par leur race, et l’homme qui tire le chariot est le seul à être suffisant grand et fort pour accomplir cette tâche. Intitulée History, l’œuvre dépeint quatre personnages qui se soutiennent les uns les autres tout en mettant en exergue la dépendance, l’interconnectabilité et la tension si caractéristiques des relations humaines.

 Dumile Feni. “History”  2003, bronze. Photo by Akona Kenqu

Dumile Feni. “History”  2003, bronze. Photo par Akona Kenqu

History est la première des nombreuses œuvres qui encouragent le visiteur de la Cour constitutionnelle à réfléchir au passé torturé de l’Afrique du Sud et à la transition effectuée par le pays avec l’adoption d’un ordre constitutionnel. Principale cour du pays, la Cour constitutionnelle protège et illustre les valeurs fondamentales de la dignité humaine, de l’équité et de la liberté des hommes et des femmes qui vivent dans les frontières de l’Afrique du Sud. La collection d’art de la Cour constitutionnelle (CCAC) est à la fois un monument vivant qui témoigne des idéaux sur lesquels repose la constitution post-apartheid de l’Afrique du Sud, mais aussi un rappel du travail qui reste à réaliser.

Les origines de la CCAC sont modestes. En 1994, alors que les onze premiers juges de la cour se retrouvent dans un parc d’activités de Johannesbourg, les juges Albie Sachs et Yvonne Mokgoro se voient remettre la somme de 1 000 $ pour refaire la décoration de la salle d’audience. Pourtant, ce qu’entreprirent ces juges fut bien plus que de redonner vie à l’espace de cet édifice. Ils décidèrent en effet de consacrer l’intégralité de ce budget à une œuvre de l’artiste Joseph Ndlovu, alors chargé de créer une tapisserie évoquant les principes de l’humanité. De cette décision initiale est née une collection d’art de plus de 400 œuvres, dont la valeur est aujourd’hui estimée à plus de 5 millions de dollars.

Guidés par le commissaire d’exposition de la CCAC, Stacey Vorster, les visiteurs de la Cour se retrouvent aujourd’hui confrontés, inspirés et interpellés par cette collection. Après avoir pénétré dans son foyer – protégé par une série de portes en bois massif dans lesquelles les 27 droits de la constitution ont été gravés à la main –, une installation éclairée au néon de Thomas Mulcaire proclame haut et fort « A luta continua » (« La lutte continue »). Une série de paysages urbains de Regi Bardavid présente la lutte émotionnelle que l’artiste a livrée après le décès de son mari, mort dans un vol ayant mal tourné. Un autoportrait nu de William Kentridge souligne et décontextualise la nudité, telle qu’elle a été utilisée dans l’histoire, comme outil de domination visant plus particulièrement à objectiver le corps de la femme et des noirs.

Carolyn Parton Concourt Logo

Carolyn Parton Concourt Logo

Plus loin dans la galerie, une robe en loques, faite de sacs de poubelle en plastique, rend hommage au sacrifice de Phila Ndwandwe, générale de la branche armée du Congrès national africain (ANC) capturée par des membres des forces armées sud-africaines (SADF, South African Defence Force) alors qu’elle essayait de faire sortir clandestinement des informations du pays. Après avoir été dénudée et torturée pour avoir refusé de livrer des informations, Ndwandwe conçut des sous-vêtements de fortune à partir de sacs-poubelle de plastique bleu. Cet acte de défi et d’humanité s’est gravé à jamais dans la mémoire d’un de ses ravisseurs qui raconta l’histoire de Ndwandwe, sa détention et sa mort, à la Commission de la vérité et de la réconciliation (CVR). Lorsqu’elle apprit cette histoire, l’artiste Judith Mason décida de rendre hommage aux actes extraordinaires de cette femme ordinaire rattrapée par la brutale machinerie de l’apartheid. L’œuvre de Mason comprend un poème écrit sur la robe, à hauteur de jupe : « Les monuments commémorant votre courage sont partout ; ils flottent dans les rues et dérivent à la marée, et s’accrochent aux aubépines. Cette robe est constituée de certains d’entre eux. »

Ces œuvres d’art transcendent l’aspect décoratif ou commémoratif. Elles créent des moments d’empathie qui traduisent des concepts abstraits comme l’apartheid en expériences intimes de douleur et de résistance individuelle. Cette empathie est une composante essentielle de la jurisprudence de la cour, laquelle repose à son tour sur la dignité humaine. L’art et la justice sont généralement représentés comme deux entités différentes : l’art est relié au cœur de l’homme, la justice à son intelligence. La rationalité est parfois entrevue comme l’ennemi de l’art, et la passion comme hostile à la justice. La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud offre un éclairage sur la manière dont l’art et les droits de l’homme se recoupent et se renforcent les uns et l’autres. Le respect de la dignité de l’homme est au cœur de la Déclaration des droits et de l’intention artistique représentées dans la cour. C’est précisément ce qui unie l’art et la justice.

Il est indispensable que la CCAC entretienne les œuvres déjà exposées tout en continuant à étendre sa collection, afin de présenter des œuvres flamboyantes de vitalité. Et pourtant, la collecte de fonds nationale s’avère tout simplement impossible ; la Cour se doit en effet d’être impartiale et ne peut accepter d’argent ni de donateurs sud-africains ni du gouvernement sud-africain qui pourraient aussi apparaître comme plaignants. La CCAC se contente alors de souffrir. L’eau s’infiltre par son toit sur des pièces inestimables ; les importants travaux manquent d’étiquettes et d’explications qui pourraient aider les visiteurs de la Cour à comprendre et à faire de leur expérience un moment plus fort ; sans oublier les larmes de pigeon qui coulent le long des joues de Nelson Mandela, sur une peinture d’Amos Miller. C’est pour toutes ces raisons qu’en octobre 2014, The Foundation for Society, Law and Art in South Africa (Fondation pour la société, la loi et l’art en Afrique du Sud) a officiellement lancé sa compagne de collecte de fonds dans les bureaux de Hogan Lovells à Washington DC et New York. L’ambition principale de cette fondation est d’établir une dotation en vue de protéger, d’entretenir et, au final, d’étendre la collection artistique de la Cour.

L’état de la collection reflète les difficultés que connaît l’Afrique du Sud en tant que pays. Après une période d’exubérance – dans les années consécutives à une étonnante transition vers un ordre juridique chargé de protéger les droits de tous –, vint le moment, dur et pénible, de maintenir les bases d’une démocratie réussie. La réussite de la nouvelle constitution sud-africaine sera déterminée à la fois par la force des jugements prononcés par les cours d’Afrique du Sud, et par les efforts prodigués de la société civile dans tout le pays, en faveur du respect des droits de l’homme de sa propre population.

La CCAC symbolise les aspirations les meilleures de notre démocratie, de la réconciliation, de la justice et de la métamorphose… lorsque nous nous battons pour l’art, nous nous battons également pour le projet sous-jacent de voir l’Afrique du Sud dotée d’une démocratie viable. À cette fin, l’importance de la CCAC ne réside pas seulement dans sa capacité à insuffler des jugements d’une cour avec empathie, mais bien dans sa façon de susciter le débat et la réflexion auprès d’un nombre de gens plus important de la société sud-africaine. Comme le dit Learned Hand, juriste américain : « Je me demande souvent si nos espoirs ne reposent pas trop sur les constitutions, sur les lois et sur les cours. Ces espoirs sont illusoires, croyez-moi, ils sont illusoires. La liberté réside dans les cœurs des hommes et des femmes ; et lorsque, dans ces cœurs, elle se meurt, aucune constitution, aucune loi, aucune cour ne peut la sauver – et aucune cour ne peut même faire quelque chose pour l’en empêcher. Lorsqu’elle réside dans ces cœurs, la liberté n’a besoin d’aucune constitution, d’aucune loi et d’aucune cour pour la sauver. »

Les espoirs de la CCAC ne se fondent pas uniquement sur la jurisprudence de l’institution dont elle partage le bâtiment. Sa manière d’encourager les idéaux de la constitution de l’Afrique du Sud coïncide – si ce n’est avec une certaine indépendance –, avec la loi au travers d’une série de messages tout aussi énigmatiques qu’essentiels. Les monuments commémoratifs sont partout. La lutte continue, chacun soutenant l’autre. La CCAC représente l’histoire d’une passion intense, d’une douleur et d’une rédemption. Et en rejaillissant sur cette histoire, elle interroge et inspire une autre histoire qu’il reste encore à écrire.

 

Contemporary And : Quelles sont les motivations qui animent la Collection d’Art de la Cour Constituelle (CCAC) d’Afrique du Sud ?

Albie Sachs et Edwin Cameron : Les débuts de la CCAC remontent à l’époque où les juges Albie Sachs et Yvonne Mokgoro décidèrent d’utiliser le modeste budget de décoration de la Cour constitutionnelle de 1 000 $ pour commander une tapisserie à Joseph Ndlovu. Intitulée Humanity, cette tapisserie représente peut-être un espoir pour l’avenir d’un pays si profondément divisé par les traumatismes de son histoire. L’œuvre présente plusieurs personnages qui se blottissent les uns contre les autres. Leurs yeux clos les rendent incapables de porter un jugement sur le sexe, la race ou l’âge, et les unissent ainsi dans leur humanité.

Cette œuvre ramène, de diverses manières, à la toute première personnification gréco-romaine de la Justice – cette déesse aux yeux bandés qui cherche à équilibrer les balances. Utilisée comme symbole de la règle de droit dans le monde, la déesse Justice semble sous-entendre un concept tout simplement universel. Sa cécité suggère en outre l’impartialité, même si lorsque la justice décide de fermer les yeux, elle n’apparaît pas aussi séduisante à ceux qui ont besoin d’elle urgemment. Dans Humanity, l’action reflétée par ces personnages aux yeux fermés semble délivrer un autre message et inviter les communautés a, d’un seul et même élan, envisager la justice avec empathie et fraternité. Il s’agit d’un concept de la justice éprouvé qui trouve tout son sens dans une multiplicité de voies.

De la même façon, le logo de la Cour dessiné par l’artiste Carolyn Parton, repose sur le symbole de la déesse Justice en présentant un groupe de 11 personnes réunies autour d’un arbre. En représentant les 11 langues officielles de l’Afrique du Sud, ces 11 personnages témoignent de tous les citoyens du pays qui trouvent refuge derrière la constitution et la règle de droit. Mais, plus important encore, ces personnages ne sont même pas abrités, non, ils soutiennent activement les branches de l’arbre.

Depuis ce premier achat de Humanity, la CCAC compte à présent plus de 400 œuvres réalisées par des artistes provenant du monde entier. Comme expression de la justice, des droits de l’homme et de la réconciliation, cette collection d’art offre, par sa mise en scène, de nombreuses voix pour contribuer à l’avenir de notre pays, tel que nous l’imaginons et, plus important sans doute, pour susciter empathie et unité. Les images que peuvent laisser voir la plupart des édifices de cours, s’ils n’en sont pas dénués, ont pour effigies des hommes juges blancs et morts. Un jour, nous serons nous aussi tous deux des hommes juges blancs et morts. Et cela est tout à fait normal ; pourtant, si ces images sont les seules représentations, elles laissent penser que seuls les hommes et seuls les blancs comptent.

 

C& : Quels sont les artistes que compte la collection et comment ont-ils été choisis ?

AS et EC : À l’exception de Humanity, artistes, parrains et galeries ont généreusement fait don de leurs œuvres à la CCAC. On pourrait dire que la collection s’est constituée par elle-même. Bien que le thème abordé de manière commune témoigne du respect pour la dignité de l’homme, la collection est incroyablement éclectique. Elle compte une large collection d’ouvrages de perles du début du XIXe siècle en provenance de toute l’Afrique australe, un nombre de pièces importantes d’art « résistant » des années 70 et 80, un chien à trois têtes réalisé par la Handspring Puppet Company (connue pour sa production théâtrale War Horse), de même qu’un certain nombre d’œuvres contemporaines par des artistes comme Marlene Dumas, Dumile Feni et William Kentridge. Les œuvres sont choisies pour leur façon d’aborder les concepts de la justice, des droits de l’homme et de la réconciliation, mais aussi pour les récits qu’elles racontent sur l’histoire et l’identité sud-africaines. 

 

C& : Quels ont été les faits marquants que la CCAC a connus entre 1994 et 2014 ?

 AS et EC : Ces dernières années, la CCAC a développé une des plus importantes collections d’Afrique du Sud. Le développement de la collection reflète, d’une certaine manière, les transitions, les négociations et les traumatismes que nous avons partagés ces vingt dernières années. Freedom Dancer de Paul Stopforth (1992), par exemple, semble capturer l’atmosphère festive suscitée par les élections de 1994 qui marquèrent la fin de l’apartheid. Les évènements de la Commission de la vérité et de la réconciliation sont retranscrits dans certaines pièces de la collection, dont Blue Dress de Judith Mason (1995) qui raconte l’histoire de l’activiste assassinée Phlia Ndwandwe. La lutte contre le VIH transparait également dans de nombreuses œuvres de la collection, notamment dans une série poignante de cartes corporelles réalisées par des malades du SIDA, parmi lesquels de futures mamans. À ses débuts, la collection tendait à proposer une composante émotionnelle à la pratique rationnelle du droit, laquelle a ensuite évolué en faveur d’un monument vivant orienté vers les principes fondateurs de notre constitution. De manière plus pratique, il ne fait pas de doute que la collection s’est développée bien au-delà des intentions de départ et a, dans ce sens, besoin d’être soutenue et de bénéficier d’une gestion minutieuse.

 

C& : Comment les avocats, les hommes politiques, la scène artistique et les citoyens ont-ils réagi à la collection ?

AS et EC :  La CCAC s’est assurée une place de choix dans la conception artistique du public en Afrique du Sud. De même, la collection façonne de manière essentielle l’opinion que le public peut avoir de la constitution et de la règle de droit. Des milliers de visiteurs entrent chaque année dans la Cour en empruntant son majestueux foyer, point de départ de la collection, pour continuer dans le couloir principal, généreux avec ses 150 mètres de marches, dans une galerie spacieuse, lumineuse et offrant de belles proportions pour accueillir les œuvres les plus marquantes et les plus mémorables. Le conseil ne cache pas son enthousiasme pour cet édifice. Les gens de faible condition qui viennent revendiquer leurs droits fondamentaux à la Cour s’y sentent bien et reconnus. Parmi eux, on compte les élèves qui se rendent à la Cour par bus entiers tous les samedis pour suivre le programme d’enseignement public et de proximité supervisé par les jeunes juristes et d’autres volontaires. 

Sans oublier que la collection bénéficie aujourd’hui d’une aura internationale et a reçu la visite de dignitaires du monde entier, dont Barack Obama, alors sénateur de l’Illinois. Un architecte connu a déclaré que la Cour concrétisait mieux que n’importe quel édifice le rêve du Bauhaus de voir s’associer l’art, l’architecture et les corps de métier dans un ensemble significatif en termes social et artistique. Dans son introduction à Art and Justice, la juge Ruth Bader Ginsburg fait remarquer : « S’imprégnant de l’esprit d’une humanité émancipée, cette collection représente la collection la plus vivante de tous les palais de justice dans le monde. »

Les événements publics organisés dans la galerie de la Cour se tiennent au milieu des œuvres de Kentridge, Dumas, Noria Mabasa et Marc Chagall. Les Chagall nous ont été offerts par les petites filles de l’artiste, Meret et Bella, afin de démontrer leur respect non seulement des travaux de la Cour en faveur des droits de l’homme, mais aussi de l’importance publique de la collection en elle-même. La principale contribution structurelle apportée par la Cour depuis son ouverture en 2004 réside dans la « Flame of Democracy » (Flamme démocratique) – une flamme qui se consume en permanence, nichée dans l’un des arcs formés par les tours de guet de la prison, sur les fondations desquelles la Cour a été érigée. À l’entrée, la flamme ; à l’intérieur, la collection : ce sont là les repères visibles et mémorables du travail réalisé par la Cour pour garantir la justice et la règle de droit au sein du Afrique du Sud démocratique non raciale.

 

C& : Comment l’art est-il lié aux droits de l’homme et au droit ? Comment les arts peuvent-ils véhiculer de grandes empathie et émotions dans un contexte juridique et politique ? Et, dans le même ordre d’idée, comment éviter l’instrumentalisation du rôle et de la fonction de l’art ?

AS et EC :  Il existe un lien historique non négligeable entre le droit et les arts qui, tous deux, partagent d’une certaine façon d’importantes similitudes. Dans le meilleur des cas, l’art et le droit sont capables de traduire les aspirations de l’humanité. À l’instar d’une charte constitutionnelle, une grande œuvre d’art peut offrir un important repère à l’identité sociale. L’art et le droit prennent le pouls de la société et de ses aspirations. 

Le chemin très particulier emprunté par l’Afrique du Sud dans sa quête de la liberté est intimement lié tant à sa constitution qu’aux oeuvres créatives composant la collection. L’art comme le droit s’intéresse aux principes fondateurs – dont le dessein est d’affirmer la dignité de l’homme et de profiter de la richesse procurée par la diversité de sa population – qui animent le nouvel ordre politique de notre « nation arc-en-ciel ». Le droit et l’art peuvent fournir à cette nation une direction et l’inspiration nécessaires tout en continuant de faire face à de véritables défis en termes d’identité, de ressources et de pouvoir pendant cette troisième décennie.

Néanmoins, dans le même temps, l’art – sous la forme d’une force indépendante –, peut jouer un rôle à part dans une société aguerrie des avantages que peut présenter le droit. Alors que le droit est souvent le produit d’arrangements institutionnels et de compromis communs, l’art est, par contraste, l’instrument de la liberté d’expression des individus. L’art possède la capacité de dire la vérité telle que le pouvoir est prêt à l’entendre, même si quelques autres lieux de procès existent. Au travers des chansons, de la satire, ou encore des arts visuels, l’art et les artistes ont démontré une grande perspicacité tout en critiquant, parfois, le droit et les systèmes juridiques. En présentant le puits profond de la proteste née de la scène artistique sud-africaine, cette collection rappelle à tous ses observateurs comment l’expression d’une idée importante peut se traduire dans une société libre. Évoluant au-delà des structures du formalisme et des règles, le pouvoir de l’art, dans ce sens, réside dans sa capacité à provoquer la discussion et le dialogue sur les questions de droit, en célébrant l’humanité des oppressés et en recherchant (souvent de manière conjuguée) l’humanité de ceux qui refusent la justice.

Pour toutes ces raisons, la société ne doit jamais oublier combien il est important de conserver une place pour l’art afin qu’il puisse prospérer. Pour s’en assurer, il convient de rester attentif à une collection cherchant à équilibrer ses efforts, dans le respect de la liberté d’expression. La proteste de l’un peut se révéler l’obscénité de l’autre. Pourtant, il est également vrai que lorsque l’art tend à suivre de trop près les besoins et les exigences du droit, il n’est alors plus possible de poursuivre avec succès un idéal social. Si bien que les attentes de la société doivent toujours suivre le principe de la liberté d’expression – peut-être même au prix de respecter certaines créations qui ne trouvent pas facilement leur place au niveau du pouvoir.

 

C& : Pouvez-vous nous dire un mot sur la Foundation for Society, Law and Art in South Africa et sa campagne de collecte de fonds ?

AS et EC : La CCAC est actuellement confrontée à d’importants défis qui réclament un soutien et une attention continus. Bien que la collection ait trouvé refuge dans la Cour et reçoive la visite de nombreux visiteurs, les réalités de notre époque ont laissé leurs traces sur de nombreuses pièces. En raison de leur exposition inévitable, plusieurs œuvres ont, avec le temps, connu différents niveaux de détérioration et d’usure. Si la collection a bénéficié des services talentueux d’une petite équipe de curateurs qui ont réussi à adresser certaines de leurs inquiétudes, il est indispensable de posséder un système plus robuste pour veiller durablement sur l’état de cette collection de renommée internationale. Par ailleurs, les conflits liés aux règles institutionnelles de la Cour limitent sa capacité à recevoir des contributions financières de sources sud-africaines qui pourraient par la suite réclamer des compensations juridiques devant les juges.

Pour répondre à ces défis, la fondation a été créée en vue de développer une stratégie pour un investissement à long terme dans la vie de la collection. Le groupe se compose d’individus qui respectent et soutiennent l’Afrique du Sud et la CCAC du fait de leur position privilégiée, tels que des jeunes juristes, des plaideurs et des hommes d’affaire. L’objectif de la fondation est de se maintenir à niveau sur la durée pour assurer des services de collecte de fonds et pourvoir à l’entretien de la collection ; la fondation ambitionne, en outre, d’utiliser ce fond pour donner un écho plus large à la CCAC, notamment par l’organisation de programmes pédagogiques et de visites guidées. Elle souhaite, au final, offrir une meilleure représentation du génie créatif des artistes participants, mais aussi sensibiliser un public d’envergure internationale aux questions de l’art et de la justice.

 

C& : Collaborez-vous à d’autres projets dans le monde qui sont à la croisée de l’art, du droit et des droits de l’homme ?

AS et EC : Cette collection d’art particulière (aux traits de holding indépendante d’une Cour en pleine activité qui se consacre aux questions inhérentes à la justice et à la liberté) est, à notre sens, unique au monde. Néanmoins, nous reconnaissons également que la CCAC compte parmi les plus collections les plus importantes proposant un dialogue entre l’art et la justice. Avec ce projet de préserver et d’étendre cette collection en vue de rassembler, nous aimerions connaître d’autres collections avec lesquelles nous pourrions collaborer dans le futur.

 

 

Edwin Cameron est conseiller à la cour d’appel en Afrique du Sud depuis les 20 dernières années et juge à la Cour institutionnelle depuis 2009. Il est l’auteur de Witness to AIDS (2005) and Justice : A Personal Account (2014). 

Activiste défenseur des droits de l’homme et anti-apartheid, Albie Sachs est juge à la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud depuis 1994. Il a publié de nombreux ouvrages traitant des droits de l’homme, de même qu’un livre d’art intitulé Images of a Revolution: Mural Art in Mozambique (1983). 

 

 

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