C& Édition Papier #8: Justine Gaga

Une dimension humaine

Justine Gaga est une artiste pluridisciplinaire qui a participé à de multiples biennales sur le continent africain. Dans un entretien avec l’auteur Dagara Dakin, elle révèle ses projets pour la Triennale SUD du Cameroun

Justine Gaga, Indignation, Installation, 2012. Courtesy the artist

Justine Gaga, Indignation, Installation, 2012. Courtesy the artist

By Dagara Dakin

Dagara Dakin: Qu’esc ce qui est à l’origine de votre pratique?

Justine Gaga: Toute petite, j’ai été fascinée par les photographies de mon père, qui était photographe avant de se reconvertir plus tard dans l’agriculture. Je pense que c’est de là que vient ma pratique artistique.

DD: Y a-t-il eu des rencontres déterminantes dans votre parcours qui vous ont confortée dans votre choix d’exercer cette profession, et si c’est le cas, pouvez-vous nous en dire davantage ?

JG: Tout d’abord, j’ai fait ma formation dans l’atelier Viking (Viking Kanganyam André est l’un des doyens de la peinture camerounaise). C’était l’unique atelier à cette époque qui avait une bibliothèque fournie et riche en arts plastiques. C’est donc en dévorant ces livres que j’ai commencé à entrevoir ce que j’allais exercer comme profession. Mais juste avant d’entrer en formation chez Viking, je travaillais déjà en atelier avec Joe Kessy et Angel (artistes également en formation chez Viking). Pendant que nous étions en atelier, nous avons reçu la visite de Didier Schaub (ancien directeur artistique de doual’art), qui est reparti très content du travail qui était en train de s’y faire. C’est donc cet enthousiasme qui m’a poussé à entrer en formation chez Viking.

Une autre rencontre cruciale a été celle avec Goddy Leye, d’abord
suite à une discussion intense autour de l’art chez Viking, et plus tard lorsque je suis entrée en résidence à ArtBakery (un laboratoire d’art contemporain situé a Bonendale et fondé par Goddy Leye en 2003). J’y ai reçu une formation beaucoup plus conceptuelle ; avec lui j’ai appris à conceptualiser une idée, cela a été très formateur. Je lui dois tout.
Le dernier point, c’est ma participation au projet Exit Tour (projet itinérant réalisé en 2006 par sept artistes contemporains à travers sept pays d’Afrique de l’Ouest ayant pour objectif de se rendre à la Biennale de Dakar). Cela a vraiment été instructif pour moi. Participer à ce projet m’a aidée à confirmer mon choix d’exercer cette profession.

DD: Est-ce votre première participation à la triennale SUD et en quoi cet événement se distingue-t-il des autres biennales auxquelles vous avez participé et qui se déroulent sur le continent ? Et par ailleurs, le fait de participer à ces événements a-t-il un impact sur la réception
de votre travail ? Êtes vous davantage sollicitée pour participer à d’autres expositions du fait de votre présence dans ces manifestations artistiques ?

JG: J’ai déjà participé plusieurs fois à ces événements que sont la triennale SUD et la Biennale de Dakar. Je dirais tout simplement que la triennale SUD est un festival d’art public qui existe depuis 2007
et qui a lieu tous les trois ans. C’est une initiative privée qui s’attache
à inscrire l’art dans l’espace public (dans la ville de Douala). Cette triennale SUD est ouverte aux artistes africains et étrangers qui sont le plus souvent conviés à venir visiter l’espace urbain afin de s’en inspirer et de faire des propositions autour du thème central, bien sûr, mais également d’enrichir le parcours de ce festival tout en donnant une visibilité aux différents acteurs.
La triennale SUD installe les œuvres d’arts dans l’espace public de façon pérenne ou éphémère, et ces œuvres sont censées créer un dialogue avec la ville et ses populations, renseigner, interroger, interpeler et attirer l’attention sur ce qui pourrait donner du sens à l’espace collectif, qu’il soit physique, mental ou spirituel. En revanche, la Biennale de Dakar est une initiative créée par le ministère de la Culture et du Tourisme du Sénégal qui se tient une fois tous les
deux ans. Ce sera sa treizième édition l’année prochaine. Elle est uniquement ouverte aux artistes africains résidant sur le continent ou établis ailleurs, dont le but est de promouvoir l’art, de montrer ce qui se passe sur le continent africain, de révéler les talents et, enfin, de valoriser l’art contemporain en Afrique.

DD: Le fait que la triennale soit orientée vers le public et la ville change- t-il quelque chose à la participation du public, comparativement à la Biennale de Dakar par exemple ?

JG: Parlant de ces deux événements, je dirais tout simplement que l’approche contextuelle est différente. En ce qui concerne la triennale SUD, la ville est mise en effervescence par la présence des œuvres dans l’espace urbain. Ce qui est très intéressant, c’est qu’après l’événement, les œuvres continuent de dialoguer avec la population et la ville. En revanche, la Biennale de Dakar dure un mois, ce sont des expositions ponctuelles et, après, on décroche les œuvres et on les renvoie aux artistes respectifs. La Biennale de Dakar est une grande instance de validation et l’une des plus importantes biennales sur le continent africain. Elle développe une plate-forme internationale assez large et draine beaucoup de théoriciens, critiques d’art, historiens d’art, collectionneurs venant de plusieurs endroits du monde. Vu de l’intérieur comme de l’extérieur, ces deux événements m’ont donné une certaine notoriété, une visibilité, voire une crédibilité aussi nationale qu’internationale sur le plan professionnel. Ils ont imposé à mon endroit un certain respect et une considération du public et aussi des autres artistes. Être sélectionnée pour ces deux événements est un moment riche d’émotions, de fierté, d’échange et de partage pour moi qui vois mon parcours artistique enrichi. Ce qui crée une sorte d’émulation dans mon travail quotidien. Il est clair qu’une telle reconnaissance m’aide à élargir la vision du monde que j’ai de l’art contemporain et fait naître d’autres participations fructueuses ou salutaires.

DD: Quel projet comptez-vous présenter cette année à la triennale SUD ? Quel est votre rapport à la performance, est-ce quelque chose que vous pratiquez régulièrement ?

JG: Pour cette triennale, je vais proposer une sculpture d’environ
8 m de hauteur faite de fer, d’aluminium et de caoutchouc. L’œuvre commence par une performance et se termine par une sculpture
qui a pour titre : The Load. Je me suis tout simplement inspirée du thème du SUD2017, qui porte sur « La place de l’Humain », et renvoie à des questions fondamentales telles que, entre autres, la notion d’humanisme et de solidarité. L’œuvre étant actuellement dans sa phase conceptuelle et en attente de réalisation, je me réserve de donner plus de détails lorsque l’œuvre sera terminée.
Pour revenir à la performance, il est vrai que je ne la pratique pas régulièrement mais il n’empêche que je la convoque lorsque cela s’impose.

DD: Avant votre participation à la triennale, la question des droits humains faisait-elle partie intégrante de votre réflexion ou approche artistique ?

JG: Probablement. Mon approche artistique interroge les injustices sociales et les pratiques inhumaines, ce qui soulève et souligne donc naturellement la question des droits humains.

 

Dagara Dakin est un écrivain indépendant et conservateur basé à Paris.

 

Cette interview a été publiée pour la première fois dans notre dernier édition papier #8. Lisez le édition complet ici.

 

Explorer

More Editorial