C& s'entretient avec Chikukwa est curateur du Pavilion du Zimbabwe à la 55ème biennale de Venise
C&: Pourriez-vous nous donner quelques informations au sujet de votre travail de curateur pour le pavillon réalisé cette année ?
Raphael Chikukwa: C’est la deuxième fois que j’ai la chance de travailler en tant que curateur du pavillon du Zimbabwe. J’ai collaboré étroitement avec la commissaire d’exposition Doreen Sibanda afin de trouver un groupe diversifié d’artistes pour représenter la diversité de notre pays. Nous avons sélectionné cinq artistes : Rashid M Jogee, Portia Zvavahera, Michele Mathison, Virginia Chihota et Voti Thebe. Ils travaillent tous dans des perspectives différentes, ce qui garantit une diversité artistique : Michele et Virginia travaillent tous les deux à l’étranger et rendent compte des récits de la diaspora. Les trois autres artistes, Portia, Rashid et Voti vivent et travaillent au Zimbabwe.
C&: Quel est le point de mire?
Raphael Chikukwa: Afin d’illustrer les différentes perspectives artistiques, nous nous sommes penchés sur de nombreux aspects : la force des compétences conceptuelles et l’approche innovante dont les artistes ont fait preuve dans d’autres projets. La création artistique devait être sensible aux contextes social, politique, économique, historique et en mesure de répondre au sujet proposé par le curateur. Il était aussi très important que les artistes puissent exprimer leur concept artistique à l’aide de matériaux qu’il serait possible de présenter dans des espaces publics et qu’ils aient envie de travailler main dans la main avec le curateur. J’espère que ces cinq artistes aux voix diversifiées permettront aux visiteurs du pavillon du Zimbabwe de découvrir des perspectives artistiques variées.
C&: Vous avez été choisi pour le poste de curateur de la National Gallery of Zimbabwe en 2010. Quels ont été les occasions à saisir et les défis à relever jusqu’à présent?
Raphael Chikukwa: Le financement est toujours un grand défi. Réaliser une exposition avec un budget dérisoire n’est pas simple. Il en va de même pour les négociations au sein d’un système bureaucratique et de la mise en adéquation avec les attentes surdimensionnées du monde artistique zimbabwéen. Le bâtiment de la National Gallery est vétuste et doit faire l’objet d’une attention particulière, ce qui constitue un des problèmes majeurs. Oui, nous obtenons des fonds de notre Ministère mais cela ne suffit jamais. Je suis certain que d’autres musées sur le continent sont confrontés aux mêmes défis. Nous ne pouvons pas dépendre trop des financements internationaux. Cela fait longtemps qu’il faut que les entreprises locales soutiennent les arts et il nous revient, en qualité de managers dans le domaine artistique, de les éduquer afin qu’ils voient la nécessité d’investir dans les arts.
C&: Quelle est la position politique de la NGZ dans le contexte du Zimbabwe?
Raphael Chikukwa: La National Gallery of Zimbabwe est une institution nationale qui dépend du Ministère de l’Education, des Sports, des Arts et de la Culture et dont le mandat est de créer une plateforme pour les artistes zimbabwéens, à l’échelle locale et internationale. Sa création a été entérinée par une loi votée au Parlement dans les années cinquante. Elle a ouvert ses portes en 1957 sous la direction de feu Frank McEwen et c’est Doreen Sibanda qui en est à présent l’administratrice. La National Gallery of Zimbabwe abrite également une école des beaux-arts depuis les années quatre-vingt et nous avons maintenant enregistré l’école de manière officielle. Un certain nombre d’artistes de renom sont issus de l’ancien studio BAT de Mbare. En 2013, la National Gallery School of Art and Design lancera un cours d’initiation et sera en compétition avec des institutions telles que les universités Harare Polytechnic et la Chinhoyi University.
C&: Quel est votre avis sur l’éducation à l’art au Zimbabwe – tant au niveau formel qu’informel?
Raphael Chikukwa: L’éducation artistique formelle au Zimbabwe est un phénomène nouveau et l’éducation non formelle a commencé pendant la période coloniale lors de l’arrivée des missionnaires, notamment de Père Groeber, un missionnaire suisse de la Mission Serima, de Canon Paterson de la Mission Cyrene d’Ecosse et plus tard de Frank McEwen qui a mis sur pied son école atelier dans le cadre de la National Gallery dans les années cinquante. Le Mzilikazi Art Centre a été un des premiers centres dans les années cinquante et à la suite de l’indépendance, dans les années quatre-vingt, le Studio BAT est venu s’ajouter aux autres centres comme le Mzilikazi Art Centre de Bulawayo. Aujourd’hui, la situation est différente et le Mzilikazi Art Centre est pour ainsi dire aux soins intensifs, dans la phase terminale qui précède la disparition faute de fonds qui permettraient de le faire fonctionner. L’ambassade de Norvège finance l’école des arts visuels de la National Gallery alors que la Harare Polytechnic, la Chinhoyi et la Midlands State University sont des institutions gouvernementales.
C&: Qu’est-ce qui est accessible?
Raphael Chikukwa: Toutes ces institutions sont accessibles en fonction de vos ressources financières et de votre portefeuille. Par le passé, l’éducation artistique informelle était gratuite et il s’agissait de la seule éducation à laquelle les Noirs pouvaient avoir accès alors que les enfants blancs bénéficiaient de l’enseignement de l’art à l’école.
C&: Quelle est votre opinion sur l’éducation artistique et sur la médiation dans les sphères sociales et publiques de Harare/Zimbabwe?
Raphael Chikukwa: Nous n’en sommes encore qu’aux premiers balbutiements et la nécessité d’éduquer l’homme de la rue est plus urgente qu’elle ne l’était par le passé. J’espère que l’introduction de l’art dans les universités permettra de promouvoir une forme d’alphabétisation visuelle.
C&: Vous avez analysé les programmes d’éducation à l’art mis en place dans les écoles missionnaires pendant la période coloniale au Zimbabwe. Comment pourriez-vous les décrire?
Raphael Chikukwa: Ici, toutes les écoles missionnaires ont joué un rôle essentiel dans l’émergence des artistes au Zimbabwe pendant la période coloniale. Un nombre d’écoles ont été créées à cette époque, notamment la Cyrene Mission à Bulawayo, Driefontein, sous la direction de Canon Paterson, la Serima à Masvingo sous la direction du Père Groeber, un missionnaire suisse, le Canon Paterson Centre (Harare) et Job Kekana (Manicaland). Cependant, il est important de remarquer que le peuple zimbabwéen a toujours été très artistique, tant avant qu’après l’indépendance, comme c’est le cas pour tous les autres peuples africains du continent. De nombreux artistes sont sortis des écoles missionnaires, entre autres Henry Tayali, Sam Sango, Nicholas Mukomberanwa, Joram Mariga, Charles Fernando, Joseph Ndandarika, Kingsley Sambo et Henry Munyaradzi, pour ne mentionner qu’eux.
C&: A ce jour, quelles en ont été les conséquences à long terme?
Raphael Chikukwa: Il faut revenir à la période précédant la deuxième guerre mondiale lorsque le missionnaire écossais Canon Paterson est arrivé dans ce que l’on appelait à l’époque la Rhodésie, l’actuel Zimbabwe, et qu’il a créé la Cyrene Mission en 1939. La Cyrene Mission est devenue une école centrale des arts et métiers. Canon Paterson a ensuite mis en place les centres Nyarutsetso et Farayi Art Centre à Harare. Tous ces centres constituaient des lieux de formation pour les jeunes étudiants noirs en art pendant la période coloniale, comme ce fut le cas pour Sam Sango. Aujourd’hui, le Zimbabwe est réputé en Afrique et dans le reste du monde pour son mouvement de sculptures en pierre qui remonte directement à ces interventions missionnaires. Le 18 avril 1980, le Zimbabwe s’est libéré du lien colonial de l’Empire britannique qui avait pillé notre héritage et brutalisé des innocents depuis le début en 1896 jusqu’à la fin de la colonisation en 1980.
Après 84 ans de domination coloniale britannique, tout le monde criait haut et fort que la culture allait se retrouver à l’avant de la scène, d’autant plus que le rôle des artistes avait été décisif dans la lutte contre le colonialisme. Mais après 1980, la vie a changé et la lutte aussi. Ces artistes qui avaient porté le flambeau de la lutte contre le maître colon étaient confrontés à une nouvelle ère. Une nouvelle génération d’artistes a vu le jour. Ceux-ci se sont écartés des thèmes liés au folklore pour aborder des sujets contemporains. Parmi ces artistes, on compte Joseph Muzondo, un ancien guérillero qui a troqué son arme AK47 contre une paire de ciseaux comme le décrit souvent Voti Thebe. Tapfuma Gutsa, aujourd’hui connu à l’échelle internationale, est un des artistes qui a surpris la communauté artistique zimbabwéenne. La National Gallery of Zimbabwe a maintenant réalisé l’importance de revisiter des événements qui ont eu lieu avant et après l’indépendance car ils ont façonné l’histoire de l’art contemporain zimbabwéen. Ci-dessous des images des interventions missionnaires menées par feu Frank McEwen et Tom Blomfield.
C&: Que pensez-vous de la situation des étudiants zimbabwéens et des artistes émergents ?
Raphael Chikukwa: Je constate que les jeunes artistes écrivent leur propre histoire comme l’ont fait les générations précédentes. Depuis l’ouverture du premier pavillon du Zimbabwe lors de la 54e édition de la Biennale de Venise en 2011, certains artistes émergents sont remontés à bloc et participent à présent à plusieurs expositions internationales. Un jeune artiste zimbabwéen a exposé ses œuvres à la Documenta 2012. Ce qui démontre qu’ils en sont capables.
C&: D’une manière générale, la scène artistique internationale et les écoles d’art occidentalisées sont-elle une source d’inspiration et un pôle d’attraction pour les artistes émergents zimbabwéens ?
Raphael Chikukwa: Grâce aux technologies, les jeunes artistes du Zimbabwe sont au courant de ce qui se passe à l’échelle internationale et s’en inspirent. Mais le contexte local les inspire aussi énormément. Cela se reflète dans les oeuvres de Virginia Chihota, Portia Zvavahera, Tafadzwa Gwetai, Misheck Masamvu et de beaucoup d’autres artistes.
C&: Dans quelle mesure souhaitez-vous encourager des collaborations intercontinentales avec la scène artistique à l’échelle mondiale ?
Raphael Chikukwa: Après dix ans d’isolement de la scène internationale d’art contemporain, nous travaillons pour accroître les échanges entre le Zimbabwe et le reste du monde. En 2011, nous avons réalisé deux projets de collaboration sous forme d’expositions : « Lagos and Maputo, A Tale of Two Cities » et une exposition australienne itinérante. Il y a quelques mois, la National Gallery of Zimbabwe a organisé son premier Atelier pour jeunes curateurs. Les participants venaient d’Angola, du Botswana, de Mozambique, d’Afrique du Sud, de Zambie et du Zimbabwe.
Raphael Chikukwa est né au Zimbabwe et a principalement travaillé en tant que curateur indépendant au cours des dix dernières années avant de rejoindre la National Gallery of Zimbabwe au milieu des années 2010 en qualité de curateur en chef. Chikukwa a été le curateur du 1er pavillon du Zimbabwe lors de la 54e édition de la Biennale de Venise en 2011 et il a participé à de nombreux forums tels que le premier World Biennale Forum en Corée du Sud, le festival KLA 2012 (Ouganda), le Condition Report Forum au Sénégal et l’Arco Madrid 2013.
« DUDZIRO: Interrogating the visions of religious beliefs », Zimbabwe Pavilion. 55th International Exhibition of Art – la Biennale di Venezia,
1 June – 24 November 2013, www.labiennale.org
www.facebook.com/NationalGalleryofZim
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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