Notre auteur Costa Tshinzam a visité la Biennale qui se tient "indéniablement horizontale et collective" jusqu'au 6 novembre 2022 sous la direction artistique de Picha.
Autoconstruite, la 7e Biennale de Lubumbashi se déploie à travers la ville cuprifère du 6 octobre au 6 novembre 2022. Elle puise ses forces dans les énergies collectives d’une jeunesse congolaise soucieuse de faire vivre les arts et la culture depuis Lubumbashi. Un moment propice pour interroger la « toxicité en tant que condition d’existence qui affecte inextricablement les mondes sociaux sous le titre “ToxiCité” ou “ToxiCity” » avec, comme point de départ, « l’élaboration collective d’un regard critique et transformateur sur l’environnement social et culturel, à Lubumbashi et dans le monde ».
Pendant un mois, la ville de Lubumbashi est investie comme lieu d’exposition d’objets et d’œuvres d’art de soixante artistes venus de différentes villes du Congo et de sa diaspora, ainsi que d’autres pays d’Afrique et du monde. Dix sites sont choisis sur les sept communes de la ville pour le déploiement de l’exposition.
Avec la mairie de Lubumbashi, le Musée national de Lubumbashi, la Galerie d’art contemporain (ASBL Dialogues), la Maison Wallonie-Bruxelles International, l’Institut français de Lubumbashi (Halle de l’étoile), l’Institut des Beaux-Arts, le Musée familial Marcel Yabili, l’Atelier Picha, le terrain de basket du mess de la Gécamines et le Centre d’art Biasasa cette Biennale connaît aussi des expositions off. Citons pour exemple « Cuivre et oxydation urbaine » (2022) par Hadassa Ngamba le 5 octobre, dans la salle polyvalente de la faculté de médecine de l’université de Lubumbashi. Dans le souci d’aller à la rencontre du public, l’organisation a eu recours aux panneaux publicitaires et autres afficheurs de la ville pour couvrir tous les espaces avec le visuel de la 7e Biennale de Lubumbashi. Les chaînes de radio et télévision locales (et même les radios communautaires) contribuent à parler ou faire parler de la tenue de ce qui se présente comme l’un des festivals d’art les plus dynamiques et expérimentaux en Afrique. Méritent aussi une mention spéciale le site Internet de la Biennale et les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) qui font passer en streaming direct ou en léger différé les données multimédias concernant les inaugurations ou les débats, comme pour le programme discursif « Les palabres de la Biennale ».
Un studio d’enregistrement de ces « Palabres » est même mis en place pour permettre de diffuser les discussions grâce au podcasting sur le site Internet de la Biennale. Si le panel d’intervenants à ces Palabres est diversifié, les sujets abordés ont tous un lien avec le thème du festival d’art contemporain.
Il faut néanmoins noter que cette Biennale reportée à cause de la pandémie du nouveau coronavirus est indéniablement horizontale et collective. Avec un choix « assumé » d’associer cinq commissaires et un conseiller curatorial à sa direction artistique, l’envie de « développer des projets qui se pérennisent ou durent dans le temps » est une réalité bien palpable. La·le juriste et militant·e des droits de personnes LGBTIQ’+ Pamina Sebastião (Angola) s’est, dans sa performance, « proposé·e dans la (dé)construction du corps comme imaginaire possible du processus de décolonisation » (Só Belo Even, 2020-2021). Il s’agit pour il·elle de « trouver un moyen de partager et d’apprendre comment atteindre une transformation temporelle qui permet à nos expériences corporelles de sortir des catégories d’existence déjà créées ». Les gravures sur marbre de la série « Topos : Métaphore des lieux » d’Isaac Sahani Dato occupent la salle de la Galerie d’art contemporain au Musée national de Lubumbashi, alors qu’un « Hommage à Dorine Mokha », chorégraphe congolais disparu inopinément en janvier 2021 permet au public de passer des moments avec leur artiste grâce à la créativité de ses compères. Par son installation intitulée Chant de l’espoir (2022), Joseph Kasau recourt à des matériaux intellectuels et physiques pour « faire revivre le parcours du disparu ». C’est peut-être dans cette même optique que l’installation immersive de Lambick Meli (Perdure, 2022) est ouverte. On y voit deux danseurs investir une sorte d’arène, « dédoublés » et emportés dans un élan d’euphorie (visiblement en quête d’un des leurs, un être cher perdu dont ils veulent faire perdurer la mémoire, le très regretté…).
Dans la salle d’exposition de l’Institut français de Lubumbashi (Halle de l’étoile), on est tout de suite frappé par la série de photographies « Passeport » d’Arsène Mpiana et l’installation de Godelive Kasangati. Le premier questionne nos rapports à nos identités alors que la seconde revisite l’histoire du Congo entre autres dans ses rapports de rangs sociaux, d’urbanisation, en partant du chien de race Basenji, très connu en République démocratique du Congo. Les photographies, plans capturés du film Mawe (2022) de Primo Mauridi Jasmin (Goma, RDC), « photos indigènes et contemporaines dont la réalisation est guidée par les rituels ancestraux autour du volcan Nyiragongo » sont affichées aux murs du Café de la Halle. Celles de la série « Lolenge » (Attitude) de Gloire Ndoko sont accueillies au Centre de santé M’zee (à 10 minutes de l’Institut français de Lubumbashi). En même temps, trois photographies, impressions au laser de dimensions variables de la série « Mukalenge Mukaji » (2022) de Nicole Rafiki, une réflexion sur le rôle de la femme dans la société, sont accrochées sur les murs des allées et couloirs de la mairie de Lubumbashi.
Sur les treillis métalliques de la clôture de l’hôtel de ville, on peut voir quelques photographies de la série « Kazi terremines » de Gulda El Magambo. L’artiste revient sur les années des « départs volontaires » dont ont été victimes les agents de la Gécamines tout en questionnant l’impact sur les populations locales de l’exploitation imminente du gisement de lithium (élément essentiel à la fabrication de batteries électriques) découvert à Manono dans le Tanganyika. Avec sa série « Matrice » (2022) dans laquelle on voit présentée la femme travaillant dans les mines sous différentes facettes : tantôt à bord d’une Tesla, tantôt avec un ordinateur ou téléphone portable dernier cri, alors même que sa vraie situation sociale reste inchangée, Pamela Tulizo va dans le même sens. Cerise sur le gâteau : l’installation Recycleurs invisibles(2022) d’Alexandre Mulongo Finkelstein, à découvrir à la Maison Wallonie-Bruxelles International. On y voit un vélo portant quatre batteries usagées de voiture et un haut-parleur perché sur le guidon, diffusant en boucle une voix appelant à la vente de batteries usagées. « L’idée est de penser au problème de recyclage de batteries de voitures électriques qui seront produites à l’aide du lithium et bien d’autres minerais de la République démocratique du Congo », explique l’artiste. La Timeline de Femke Herregraven exposée à la Maison Wallonie-Bruxelles International déroule l’histoire de l’extraction minière en RDC en un cylindre métallique massif sur un long tapis. « Elle va de 1890 (date à laquelle l’étain a été extrait pour la première fois à Manono) à l’annonce qu’AVZ Minerals commencera l’exploitation du lithium à Manono en janvier 2023. » C’est peut-être en réponse aux nombreux problèmes que pose l’extraction des ressources naturelles que Luigi Coppola (Italie) propose Ex-Situ, un travail sur différentes plantes endémiques capables de réhabiliter le sol. Travail à voir à l’Institut des Beaux-Arts.
Au Musée familial Marcel Yabili, Ariel Kasongo va à la Rencontre des piliers pour « (re)donner une vision positive de Kamalondo », première commune autochtone de la ville, trop souvent caricaturée comme un quartier d’ambiance et autres dépravations de mœurs.
Le concert performance « Le Chant Ininterrompu Pour la Ville » pensé par Sinzo Aanza a mis sur scène le guitariste Vicko Tengwa au Cercle Makutano le 8 octobre 2022. L’œuvre Todos Los Nombres (Tous les noms) de Sonia Cunliffe, un extrait des archives de Teodoro Bullon, attire aussi l’attention des visiteurs. Se basant sur « l’histoire d’une petite communauté où des plaques de verre jetées par un photographe ont été utilisées dans les fenêtres lorsque le film Kodak est apparu sur le marché », elle présente la photographie comme une métaphore.
Le livre Machini, une adaptation du film à succès des artistes réalisateurs Frank Mukunday et Tétshim présenté pour la première fois à la 7e Biennale de Lubumbashi, a été bien accueilli. Les quelques exemplaires disponibles se sont arrachés comme des petits pains face à un public qui voulait à tout prix obtenir l’autographe des auteurs Frank Mukunday, Tétshim et Alexandre Mulongo Finkelstein.
L’idée d’une biennale collective est une réflexion sur la manière de penser, imaginer, rêver, créer ou vivre les arts. Avec la mise en place du projet « Une maison en commun[1] », elle devient palpable. Aussi, en permettant à qui veut de poser son regard sur les problèmes de la Biennale, les « Palabres de la Biennale » font de ces personnes les acteurs d’une créativité qui se montre de plus en plus indispensable au rayonnement de la cité.
N’est-ce pas là une manière de faire de l’art un véritable levier de développement d’une ville où l’infrastructure et les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous ?
Bonne Biennale donc !
Costa Tshinzam est un écrivain, bloggeur et auteur de la communauté Habari-RDC. Il est mentor pour l’atelier d’écriture critique C& à Lubumbashi, où il vit et travaille.
[1]« Projet de transformation du Centre d’art Picha en un espace de convivialité collective qui se développe autour de la facilitation d’un fablab à Picha, de la construction d’une cuisine commune et d’un espace de recyclage et production de meubles et outils de travail analogiques et digitaux », d’après l’explication fournie par Lucrezia Cippitelli, curatrice et directrice artistique des Atelier Picha.
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