Martine Syms, basée à Los Angeles a été qualifiée d’artiste de la toile, de conceptrice graphiste et d’éditrice mais elle préfère le terme d’entrepreneuse conceptuelle pour expliquer ce qu’elle fait.
C& : Vous vous définissez comme un conceptrice graphiste. Comment combinez-vous les affaires et l’art en gardant une attitude critique ?
Martine Syms : J’ai ma propre entreprise. Ma philosophie en ce qui concerne l’entreprenariat est inspirée par les histoires dans Our Band Could Be Your Life, point trois du programme en dix points du parti Black Panther Party et par l’idée que la valeur est une abstraction. Oh oui, et aussi par les phrases de Sol Lewitt « Sentences on Conceptual Art » (Phrases sur l’art conceptuel), mais principalement par la partie où il dit que l’idée devient la machine qui fait l’art.
C& : Dans une de vos dernières oeuvres, Notes on Gesture, vous explorez le mouvement physique et la création identitaire. Parlez-nous un peu de cette superbe vidéo. Qu’est-ce qui se cache derrière l’idée de boucle/répétition des mouvements (en tant que formes de langage) ?
MS: Notes on Gesture est une vidéo qui compare les mouvements authentiques et dramatiques. La pièce alterne entre des cartes titres qui proposent des situations hypothétiques et de brefs clips en boucle qui y répondent. L’actrice utilise son corps pour citer des femmes célèbres, tristement célèbres ou inconnues. J’ai demandé à Diamond Stingily (qui est la vedette dans la vidéo) d’incarner différentes femmes, membres de la famille, célébrités, amis à nous, etc. Gordon Hall, un merveilleux ami artiste basé à New York, a réalisé une conférence-performance au sujet de l’histoire des conférences-performances intitulée « Read me that part again, where I disinherit everybody » (Relis-moi encore le passage où j’ai déshérité tout le monde). A un moment, pendant la conférence, Gordon déclare : « La politique, c’est quelque chose que vous faites avec votre corps ». Cette phrase est restée gravée dans mon esprit. Je pensais aussi aux femmes noires qui apparaissent dans des gifs animés et aux images de réaction qui finissaient par être utilisées par tout le monde. Ces images véhiculent un sens, un comportement et des corps. Je me demandais ce qu’elles signifiaient.
C& : Lors d’une récente interview, vous avez déclaré, « Je me conçois davantage en train de travailler pour un spectateur noir qu’en tant qu’artiste noire ». Qu’est-ce que vous voulez dire par-là ?
MS : J’aime partir du principe que la personne qui regarde mes oeuvres est noire.
C& : Que pensez-vous du terme aujourd’hui à la mode « art post-internet » ? Est-ce que vous vous identifiez à ce concept ?
MS : Je m’identifie au concept d’art post-internet de la même façon que je m’identifie au terme de post-race, c’est-à-dire pas du tout. Karen Archey a également rédigé quelques textes provocateurs sur cette idée. J’ai apprécié la lecture du blog de Gene McHugh Post-Internet [qui a été publié sous forme de livre en 2011]. Je l’ai utilisé dans ma classe cet automne. Cependant, le terme en lui-même ne m’est pas vraiment utile.
C& : Vous publiez aussi. Préférez-vous être considérée comme une artiste, une éditrice ou une entrepreneuse ? Ou pensez-vous que la tendance à vouloir définir une personne travaillant dans le monde de la création est un peu révolue ?
MS : Je trouve que c’est complètement dépassé mais c’est bien en termes de marketing. Si j’essaie de me coller une étiquette, j’utilise seulement un terme pour me décrire. Je préfère m’identifier à une conteuse d’histoires. Je plaisante – DJ est ce que je préfère.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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