Entrevue de C& avec RitaGT, artiste basée à Luanda et commissaire du pavillon angolais dans le cadre de la Biennale de Venise 2015.
C& : Cette année, le pavillon de l’Angola présente les artistes António Ole (Biennale Luanda, 1951), Binelde Hyrcan (B. Luanda, 1983), Délio Jasse (B. Luanda, 1980), Francisco Vidal (B. Lisbonne, 1978) et Nelo Teixeira (B. Luanda, 1975). Comment voyez-vous votre rôle en tant qu’artiste et commissaire ?
RitaGT : Je me considère plutôt comme une artiste activiste. Sans équipe, je ne serais pas capable de progresser. L’art m’intéresse surtout en tant qu’outil visant à développer la pensée critique.
C& : Le pavillon de l’Angola qui présentait l’oeuvre photographique d’Edson Chagas a gagné le Lion d’or lors la Biennale de Venise 2013. En quoi cela va-t-il influencer votre travail dans le cadre de la biennale de cette année ?
RGT: J’ai eu le privilège d’être à Venise lors de la dernière édition et de travailler étroitement avec l’équipe d’Edson Chagas, Paula Nascimento et Stefano Pansera. J’ai été inspirée par leurs efforts et le travail d’équipe. L’expérience vécue pendant la dernière biennale a encore donné plus de force et de rigueur à l’équipe de cette année par rapport à la qualité du projet à mettre sur pied. Le Ministère angolais de la culture a été un grand défenseur de la participation à la biennale, convaincu de l’importance de l’impact que ce type d’initiative a sur le pays et sur l’internationalisation de l’art contemporain angolais.
C& : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le concept du pavillon de l’Angola en 2015 ?
RTG : Comme l’a expliqué le curateur et artiste António Ole : « Notre stratégie s’apparente très fort à un dialogue intergénérationnel. J’ai travaillé avec ces artistes auparavant, nous avons beaucoup de choses en commun, et je suis convaincu que ces jeunes artistes vont promouvoir le renouveau de l’art contemporain angolais.
C’est auprès de la génération de l’après indépendance que l’avenir s’installe naturellement en tenant compte des préoccupations des artistes, en conduisant des recherches sur la forme, en développant une approche pluridisciplinaire et en tirant avantage des possibilités qui se sont ouvertes grâce aux outils de notre époque. L’intérêt porté à ce mouvement se traduit par le besoin de transmettre un héritage. Un héritage qui n’est pas seulement artistique mais peut être trouvé sur les nombreux chemins différents de la vie. »
On Ways of Traveling évoque l’histoire des fusions culturelles en cours depuis plus de 500 ans entre les différents continents ainsi que l’important rôle social et culturel que la transmission orale du savoir joue encore aujourd’hui en Angola. Les personnes les plus âgées, les « maîtres » sont responsables de la transmission de leur héritage aux plus jeunes.
C& : De jeunes artistes émergents ont une présence active en Angola, particulièrement à Luanda. Comment cela se reflète-t-il sur votre projet pour Venise, sur vos travaux en cours et sur vos coopérations artistiques ?
RTG : En fait, le mouvement artistique actuel le plus puissant a débuté lors de la première triennale de Luanda en 2006. C’était une des raisons qui m’a poussée à aller vivre à Luanda. L’Angola a toujours connu une très forte production culturelle mais elle a malheureusement diminué pendant la guerre. De nos jours, je pense qu’il y a un déficit visible dans la production au niveau culturel, plus particulièrement dans le domaine des arts visuels. Cependant, à mon avis, c’est justement ce déficit qui permet aux expressions artistiques les plus intéressantes de se développer au niveau de l’art, de la musique et de la danse contemporaine. Ainsi, à Luanda, on peut observer différentes étapes ou différents types de productions culturelles (tels que l’art contemporain et la performance) qui utilisent des langues transversales sans prendre de distance par rapport à l’histoire de l’art et de l’expression angolais.
Beaucoup d’Angolais de la jeune génération ont grandi à l’étranger mais après la guerre, beaucoup d’entre eux sont revenus pour commencer le travail de reconstruction du pays, et ont amené de nouvelles idées et une nouvelle énergie. Actuellement, il y a plein de sujets de discussion en Angola, plein de sentiments, d’idées et de pensées à partager, d’autant plus que le pays évolue à chaque instant.
C& : Quel a été l’impact du Lion d’or sur la scène artistique angolaise et sur le marché artistique ?
RTG : Il y a beaucoup de travail à faire. En Angola, aucun mécanisme de production culturelle n’a encore été mis en place, donc ce genre d’initiative devient très important. Les artistes, les architectes, les curateurs, les collectionneurs, les intellectuels, les activistes et le gouvernement assument une responsabilité cruciale en soutenant les changements en train de survenir dans le pays au niveau culturel.
L’école des beaux-arts vient d’ouvrir ses portes et ne dispose pas de suffisamment de matériel accessible, ce qui rend les coûts de production élevés. Cependant, il est primordial de mettre en place un marché de l’art sérieux avec des prix réalistes et des collectionneurs professionnels qui considèrent l’art et la culture comme des investissements judicieux.
En outre, il est important de créer un discours et des débats entre les divers agents culturels. Je pense que l’investissement culturel est l’avenir à l’échelle mondiale. Il est manifeste que le savoir, la culture et l’art sont les sous-cultures les plus intéressantes et les plus valides de toute société sur chaque continent.
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Propos recueillis par Aïcha Diallo
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