L’amour est une question essentielle dans l’exposition personnelle de Gaëlle Choisne à Bétonsalon. Le centre d’art et de recherche parisien et son architecture volumineuse forment la toile de fond des explorations sensibles de l’artiste franco-haïtienne autour de l’amour comme attitude, forme de résistance et source d’actions politiques. Avec C&, elle parle des déesses babylonienne et haïtienne de l’amour, de codes du désir et de bars clandestins.
Contemporary And : Vous occupez un espace architectural pour une exposition qui a pour sujet l’immatériel, la spiritualité, l’intime. Pourquoi ce jeu d’oxymore justement à Bétonsalon ?
Gaëlle Choisne : L’équilibre du monde réside dans ses antinomies. Cette dialectique est inévitable et essentielle.
C& : Comment avez-vous pensé l’espace d’exposition ? Est-ce que votre production est une continuité de vos vidéos Cric Crac et de l’exposition au titre éponyme de 2015 au Centre d’art contemporain La Halle des bouchers ?
GC : Ce temps de montage prolongé à Bétonsalon est bien sûr une continuité de recherches formelles et théoriques. J’envisage l’espace d’exposition comme le prolongement de mon atelier. Cric Crac est très spécifique dans son sujet, mais les méthodes de montage et d’assemblage sont similaires dans mes travaux d’installation. Il est vrai que l’exposition à la Halle des bouchers peut être considérée comme une première forme d’ébauche. Un bar à rhum clandestin servait de lieu de partage et de discussion.
C& : Dans votre livre photographique Wood my love (2013), vous voyagez entre Miami et Port-au-Prince. Les images capturées ont-elles aussi été un point de départ pour cette thématique de l’amour ?
GC : Woodmylove est le prénom d’une petite fille qui participait à un camp que j’ai organisé en Haïti en 2014. Tout est prémices de ce qui va suivre.
C& : Quatre événements « LUVs » ponctuent l’exposition au cours de laquelle artistes et chercheurs sont invités, et des workshops sont proposés au grand public. Pouvez-vous définir ce néologisme ? Comment avez-vous pensé ces sessions ? Peut-on les comparer à des étapes d’un parcours spirituel, intimiste ?
GC : Un « LUV » dans l’argot anglophone désigne le début d’amour, moins théâtral et pesant que le LOVE. Mes « luvs » ont été pensés dans une simple volonté d’accueillir et de donner une voix à certains qui ne l’ont pas assez. En collaboration étroite avec Lucas Morin, nous avons pensé à ces moments de ponctuation qui sont déjà largement mis en place à Bétonsalon.
C& : De la déesse babylonienne Ishtar à l’esprit Erzulie Dantor du vaudou haïtien – comment faites-vous dialoguer ces deux divinités et pourquoi les avoir choisies en particulier ?
GC : Ces deux divinités sont d’origines différentes mais sont toutes les deux déesses de l’amour, de la sexualité, mais aussi de la guerre. Ishtar renverse l’ordre social établi en requestionnant le genre et la sexualité, protège la prostitution et défend les plus faibles. Elle est masculine le matin et féminine le soir. Erzulie incarne la figure de la Vierge noire, défendant les femmes et les enfants. À la fois guerrière et protectrice des femmes seules, elle représente aussi la femme amoureuse.
C& : « Temple of Love » : (re)construction et réappropriation des codes du désir et d’un amour-chaos ?
GC : Réappropriation des codes du désir, oui d’une certaine manière et d’une remise en question du genre. Amour-chaos dans son sens positif car le chaos forme le cycle, un retour à l’origine, à ce qui a besoin d’être remodelé. Le capitalisme et l’amour sont trop souvent, inconsciemment ou non, mis en relation et servent des méthodes de manipulation des richesses et des biens.
Gaëlle Choisne (1985, France) est diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. En janvier 2017, elle intègre la Rijksakademie, après un an de résidence à la Cité internationale des arts de Paris. Son travail a récemment été présenté à l’occasion de biennales, d’expositions de groupe ou de workshops, tels qu’au Beirut Art Center pour la 13ème Biennale de Sharjah (2017), au MAC Lyon (2016), à la Biennale de Lyon (2015) ou encore au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (2018). TEMPLE OF LOVE est sa première exposition personnelle institutionnelle à Paris.
Julie Abricot est Franco-guadeloupéenne et étudiante en histoire de l’art. Fondatrice de kunstfeld, webzine franco-allemand sur l’art contemporain, elle vit entre Paris et Berlin.
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