Depuis un peu plus de dix ans, Illa Donwahi a transformé la maison familiale en un espace dédié à un ambitieux projet artistique, culturel et éducatif. Elle s’entretient avec C& au sujet du lancement de ce complexe artistique en plein cœur de la crise sociale et politique de la Côte d’Ivoire en 2008.
Contemporary And : La Fondation Donwahi semble avoir forgé son identité au carrefour de plusieurs projets. À la fois espace d’exposition non commercial, galerie, résidence d’artistes et locaux pour manifestations artistiques, elle s’engage aussi sur le mécénat et l’éducation à l’art. Cette polyvalence était-elle inscrite dès le départ dans les plans de la Fondation ?
Illa Donwahi : La Fondation Donwahi a été créée par un groupe de passionnés d’art, pour la plupart des acteurs économiques privés africains. Avec le temps, nous sommes devenus une plateforme culturelle, un centre culturel privé, une ruche artistique et un espace de libres échanges. Nous restons convaincus que l’art est une passerelle essentielle entre les générations, une passerelle entre les classes, entre les expériences, ainsi qu’un moyen pour aborder librement diverses problématiques d’une société.
C’est pourquoi nos initiatives et nos collaborations, en sus de notre production d’expositions, ont pour objectif de supprimer ces barrières invisibles qui excluent ceux qui n’ont pas accès à certaines sphères ou pensées.
C& : À quoi ressemblait la scène artistique ivoirienne à l’ouverture de la Fondation en 2008, à la veille de la crise qui allait frapper durement le pays ?
ID : La Côte d’Ivoire pansait encore les plaies ouvertes pendant la décennie (1990-2003) de turbulences socio-politiques couplées à une longue crise économique, et le pessimisme ambiant avait également affecté la scène artistique, notamment le dynamisme des plateformes de soutien et de promotion des créateurs. Nous nous sommes posé la question : était-il raisonnable de se préoccuper de culture dans ce contexte ? Nous avons choisi de relever le défi, dans un esprit d’humanisme et de partage, et d’ouvrir un lieu d’échange et de transmission, de partage et d’enrichissement.
C& : En associant ainsi l’art et le développement culturel, la Fondation a fait du chantier de reconstruction de la scène artistique de l’après 2011 un acteur de premier plan. À quel(s) défi(s) avez-vous été confrontés après la crise ?
ID : Je vais être directe, le défi le plus important à relever a été celui de la mobilisation de nouvelles ressources. Nous nous sommes appuyés sur notre histoire, sur l’impact socio-éducatif de nos réalisations passées pour convaincre de nouveaux mécènes, et ainsi obtenir un accompagnement. Nous avons encore et encore communiqué sur le fait que, plus qu’à d’autres périodes, l’art et la culture étaient des socles sur lesquels pouvaient se construire cette réconciliation et cet apaisement tant attendus par les Ivoiriens.
C& : Quel a été l’apport de Simon Njami dans ce projet de reconstruction ?
ID : Fondamental ! Mais je ne peux évoquer Simon Njami sans citer notre vice-présidente, Marème Malong, par ailleurs fondatrice de la Galerie MAM de Douala, au Cameroun. Forts de nos compétences complémentaires, de notre passion, nous avons tracé les contours, construit et réalisé ce projet. Simon Njami nous a apporté sa méthode, sa rigueur, son sens esthétique, son sens de l’histoire, et sa poésie.
C& : Parmi les projets accueillis en ce lieu, il y a la Biennale des arts pour la forêt et l’environnement portée par l’artiste ivoirien Jems Robert Koko Bi. En quoi consistait cette manifestation ?
ID : Jems Koko Bi ponctue ses conversations par cette citation : « La Forêt est vierge, généreuse et sincère. Elle donne tout, lorsqu’on ne lui enlève rien de force. » Cette citation résume ses motivations et ses objectifs dans l’organisation de l’Abidjan Green Arts, une biennale dédiée à la forêt et à l’environnement soutenue par trois ministères ivoiriens, l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves, la Coopération allemande (GIZ, le Goethe Institut), et la Fondation Donwahi. L’art, ici, est un « prétexte » pour sublimer et célébrer la forêt, afin d’éveiller les consciences sur sa préservation et sa sauvegarde.
La 1re édition, dont la cérémonie d’ouverture s’est tenue le 25 novembre 2019 à la Fondation Donwahi, a vu la participation d’artistes de trois continents (Afrique, Europe, Amériques), sélectionnés par trois curateurs. À noter que le curateur Afrique était Ousseynou Wade, ancien secrétaire général de la Biennale de Dakar.
Venant de toutes les disciplines, les artistes invités sont intervenus pendant deux semaines dans le parc national du Banco, une forêt primaire de plus de 3000 ha au cœur de la ville d’Abidjan. Les œuvres de ces artistes ont été réalisées dans un espace prédéterminé, respectueux de l’environnement (utilisation de matériaux biodégradables, de végétaux). Des ateliers d’initiation à la préservation de l’environnement ont été organisés in situ, à l’intention de la jeunesse.
Cédric Vincent est anthropologue, enseignant en théorie de l’art à l’école des Beaux Arts de Toulon. Il codirige le projet PANAFEST archive dont fut extraite l’exposition Dakar 66 : Chroniques d’un festival panafricain (Musée du Quai Branly, Paris, 2016)
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