Notre auteur Storm Janse van Rensburg partage sa réflexion concernant le festival de performance RAVY, à Yaoundé.
La quatrième édition des Rencontres d’Arts Visuels de Yaoundé au Cameroun (Festival RAVY) s’est tenue cette année du 7 au 13 avril. Né à l’initiative du collectif d’artistes Les Palettes du Kamer, le festival s’attache plus particulièrement aux pratiques artistiques contemporaines, et consacre une importance non négligeable tant à l’art, sous la forme de performances, qu’à l’engagement du public. Pendant sept jours, la manifestation a fait le plein de performances publiques, d’interventions, d’expositions et de séminaires organisés sur différents sites de la ville de Yaoundé. Fondée et parrainée par Serge Olivier Foukou (directeur artistique, Cameroun), Landry Mbassi (Cameroun) et Jean Voguet (France), l’édition de cette année a invité Martin Baasch (Allemagne) à se glisser dans la peau du commissaire d’exposition. Limité par des conditions financières extrêmes, le festival RAVY propose, dans un contexte public, un punch survitaminé au sein duquel le soutien à la culture visuelle contemporaine est pratiquement inexistant. Les organisateurs, les fondateurs et les partenaires forment une équipe très soudée et m’ont donné l’occasion rarement rencontrée d’expérimenter l’art de manière aussi profonde qu’essentielle.
Les performances du festival réalisées en public se sont complétées d’un certain nombre d’expositions. Le Musée la Blackitude – une importante collection privée d’art traditionnel africain fondée en 1989 par Sa Majesté Fô Nab Ngo I NANA Agnès Sunji et dont la communication est assurée par le dynamique Christian Nana – accueillait une exposition de photographies présentant, entre autres, le travail de Chriss Aghana Nwobu (Nigéria), une série d’autoportraits d’Adeola Olagunju (Nigéria) et les songeries poétiques de Sentury Yob sur son père défunt. Ces remarquables contributions ont respectivement mis en évidence la performativité de l’activisme, de l’identité et du deuil.
Hébergée dans un bâtiment Art Déco aussi magnifique que délaissé, la Galerie d’Art Contemporain présentait The Bodies We Tell – une exposition organisée par Martin Baasch à la fois vidéo et photographique sur les différentes formes de pratiques inspirées par le corps – offrait un contexte plus large aux récentes positions d’artistes internationaux relatives aux performances. L’exposition présentait notamment le travail de Jelili Atiku (Nigéria), Hervé Yamguen (Cameroun), Marcio Carvalho (Portugal), Dennis Feser (Allemagne), Wura-Natasha Ogunji (US/Nigéria), Christian Etongo (Cameroun), Zierle & Carter (UK), Johan Thom (Afrique du Sud), Björn Drenkwitz (Allemagne), Landri Mbassy (Cameroun), Max Mbakop (Cameroun), Yvon Ngassam (Camerooun) et Hervé Yaoumbi (Cameroun). Une sculpture de Zanele Mutema (Zimbabwe) accompagnait également l’évènement.
Les interventions présentées dans l’espace public étaient à la fois très tendues, intenses et exaltantes, et témoignaient en tous les cas de la vigueur et du courage extraordinaires des artistes et des organisateurs. L’espace public de Yaoundé est fortement disputé et congestionné, bouillonnant d’énergie, mais aussi fortement contrôlé (comprenez, « policé ») et chaotique. La première série de performances eût lieu sur l’avenue Kennedy, un important centre de transport et de vente à la sauvette situé dans le quartier des affaires du centre-ville. Dieudonné Fokou (Cameroun), un vétéran de la sculpture, donna le coup d’envoi de la cérémonie en arrêtant un taxi au milieu de la route, bloquant ainsi la circulation, pour décharger une série de sculptures du véhicule et les installer sur le trottoir, en face d’une importante banque. Il s’attira ainsi le courroux des vendeurs à la sauvette locaux et de la police chargée de surveiller la banque, et ce, malgré les lettres d’autorisation présentées par les organisateurs. Au plus fort de la colère, Valentine Torrens (Espagne) se lança à son tour, s’agenouillant sur le trottoir, les bras en croix et la tête coiffée d’un ballon de foot dégonflé. Ce simple geste provoqua la rage d’une partie de la foule, l’obligeant à se protéger derrière un véhicule à proximité.
Non loin de l’Institut Français, Irene Pascual (Espagne/Allemagne) guidait une procession vers le foyer de l’institution pour raconter une histoire inspirée en partie de la mythologie camerounaise, avec une œuvre évoquant la législation punitive adoptée envers l’homosexualité. Le foyer présentait également une exposition de peintures composée notamment d’œuvres de Rostand Pokam (Cameroun). Ses portraits d’icônes de la libération camerounaise, que beaucoup dans le Nord considèrent comme des anti-héros et scélérats, faisaient figure de canonisation ironique, en raison de leur agencement dans un bastion européen de la « culture ». Au premier étage, une délicate installation de Keikio Kamma (Japon), constituée d’objets trouvés sur les marchés de Yaoundé, invitait le public à rejoindre l’artiste le temps d’une cérémonie du thé japonaise traditionnelle – un acte simple de réciprocité, d’hospitalité et d’amitié, créant un espace social de participation active.
Christian Etongo (Cameroun), une figure majeure et prolifique de la scène artistique locale, présentait lors du festival deux importantes performances. La première dans l’Institut Français, en collaboration avec deux autres performeurs dont Elyphaèl Monkééy (Cameroun), dans laquelle il invitait le public, sur un ton ritualiste et mesuré, à suivre un manifeste pendant que ce dernier s’aspergeait d’eau provenant d’un petit bassin et distribuait de grosses larves vivantes aux spectateurs.
Dans l’idée de développer et de donner toujours plus de poids au RAVY, les organisateurs ont mis l’accent sur l’aspect théorique et discursif de la pratique des performances artistiques dans la région, et ont appelé à une conférence sur la thématique « Performing the Global » dans les bâtiments du Goethe Institut. La discussion a permis de soulever certaines questions importantes relatives aux conditions de production et de présentation des arts visuels contemporains – au Cameroun et partout sur le continent –, d’aborder le déploiement du « global » comme un concept d’exclusion et d’examiner la prévalence des pratiques et des modes ritualistes de performance.
À l’issue de la conférence, à la tombée de la nuit, Trésor Malaya (République Démocratique du Congo) ouvrit le programme de la soirée hors des murs du Goethe Institut, se tenant à moitié nu au milieu d’une rue en effervescence, et se déplaçant lentement ça et là, des morceaux d’intestins et de chaire animale accrochés le long du corps. Éclairé par les phares des voitures, l’artiste ajouta un côté surréaliste au tableau en extrayant des petits drapeaux camerounais de son slip et en les agitant au milieu de la circulation. Après avoir regagné l’enceinte, il composa une grande peinture abstraite viscérale à partir des traces laissées par le sang des animaux que certains membres du public détachèrent de son corps.
Christian Etongo et Julie Djikey (République Démocratique du Congo) présentèrent simultanément leur performance à un important croisement du carrefour Lycée Bilingue-Essos, dans l’idée d’éveiller les sens de l’auditoire par des actions vivifiantes et à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Le corps enduit de pétrole noir et épais, et avec pour seuls atours un haut de bikini constitué de boîtes de conserve et un short moulant, Djikey entama une procession dans la rue, les mains rivées sur le volant d’une voiture, et produit une certaine fièvre parmi la foule. La performance offrait une lecture éclairée sur les conséquences de l’extraction du pétrole ou de « l’or noir » sur le continent et les conflits y afférents. La tension autour des préparatifs de la performance était palpable devant l’inquiétude suscitée par la presque nudité de Julie Djikey. Néanmoins, la foule grandissante avança avec le spectacle, accompagnant la procession de ses acclamations jusqu’en bas de la rue.
Etongo, qui, lui, questionnait l’attitude et les méthodes caractéristiques des groupes d’autodéfense, se positionna au milieu du croisement, entouré de grandes pierres et arborant un pneu de voiture en guise de collier. À mesure que les motos et taxis fendaient l’air, les mouvements d’Etongo se faisaient de plus en plus frénétiques, jusqu’à le voir se jeter et se rouler dans la poussière rouge, se mettant plus d’une fois en danger au milieu de la circulation. Un second performeur, Elyphaèl Monkééy, habillé de manière dépareillée et couverts de lambeaux, surprit le public au loin, du haut des échasses desquelles il bombarda la foule de mottes de terre molles, dispersant les spectateurs terrifiés.
Au vu de l’étroit engagement liant les artistes, curateurs, organisateurs et partenaires locaux et invités, il est véritablement impossible d’oublier l’unité mémorable de ce groupe – née de cette proximité et de cette intimité. Les artistes qui composaient l’équipe organisationnelle et curatrice du festival RAVY sont tous des artistes d’exception travaillant envers et contre tout. Ils ont toutefois développé un modèle artistique et organisationnel parfaitement accordé et en phase avec les conditions locales, dans lequel ils peuvent s’engager sans réserve dans les pratiques des arts visuels contemporains. L’esprit de collaboration et d’entreprise qui anima cette incroyable équipe lui donna le courage de braver les obstacles bureaucratiques et publics, et présage un avenir radieux aux prochaines éditions du festival RAVY.
Originaire d’Afrique du Sud, Storm Janse van Rensburg est un curateur et un écrivain indépendant qui travaille à Berlin, en Allemagne.
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