En conversation avec Kudzanai Chiurai

« J’ai souvent utilisé la religion et la morale comme une expression du temps. »

C& est partenaire médiatique de l'exposition “The Divine Comedy: Heaven, Hell, Purgatory revisited by Contemporary African Artists” au MMK, musée d'art modern. Conçue de façon à part entière avec l'événement, C& propose une série de conversations inédites avec les artistes participants.

« J’ai souvent utilisé la religion et la morale comme une expression du temps.  »

Kudzanai Chiurai, Iyeza, 2012, Film still, Courtesy of the artist and the Goodman Gallery

 

MMK/C&  : Le point de départ de l’exposition est la «  Divine Comédie  » de Dante. Dans quelle mesure avez-vous véritablement travaillé sur l’œuvre de Dante pendant la préparation à l’exposition?  

Kudzanai Chiurai  : L’œuvre qui participe à l’exposition ne faisait pas l’objet d’une commande. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas eu l’occasion de me plonger dans ce livre.


MMK/C&  : En fusionnant les croyances chrétiennes et les valeurs morales ainsi que les thèmes païens classiques, la «  Divine Comédie » représente un concept de société, des valeurs et une culture profondément enracinés dans l’eurocentrisme. L’exposition a pour objectif de démanteler la prérogative d’interprétation européenne et de la considérer sous un autre angle. Dans quelle mesure pensez-vous que cette approche puisse aboutir à une remise en question générale de la souveraineté de l’interprétation euro-centrique?

KC  : L’exposition propose une vision non-conformiste de cette souveraineté de l’interprétation euro-centrique. Elle oppose l’exclusion de personnages africains dans l’œuvre de Dante.


MMK/C&  : Dans l’histoire de l’art du Nord de l’Europe et de l’Amérique, la «  Divine Comédie  » a été interprétée par de nombreux artistes (tels que Botticelli, Delacroix, Blake, Rodin, Dalí ou Robert Rauschenberg) – dans quelle mesure cela a-t-il influencé la manière dont vous avez traité le sujet?

KC  : Bien que l’œuvre ne soit pas un travail sur commande, elle aborde néanmoins les croyances chrétiennes inspirées par la Comédie de Dante. L’œuvre est une interprétation de la Cène.

MMK/C&  : Comment interviennent la religion et l’éthique dans votre pratique de l’art? Et par conséquent, que signifient les termes paradis  /  enfer  /  purgatoire à vos yeux?

KC  : La religion et la morale sont au centre de ma pratique  ;  je les ai souvent utilisés comme une expression du temps. L’éphémérité du temps perçue au travers d’expériences vécues offre une manière de comprendre la religion et la morale. Ces mêmes expériences déterminent ainsi le royaume où vous terminerez votre vie et le temps que vous y passerez.

MMK/C&  : L’exposition compte plus de cinquante  œuvres d’art réparties entre les zones du paradis, de l’enfer et du purgatoire. À quelle partie de l’au-delà votre œuvre appartient-elle? Comment cette répartition s’est-elle opérée?

KC  : Mon œuvre fait partie du purgatoire. Quand j’ai commencé à conceptualiser la vidéo, je voulais aborder la question du conflit politique dans la religion, et la Cène servait idéalement de référence sacrée. J’avais besoin d’un point de départ sur lequel bâtir une narration pouvant exprimer cette idée. À la fin des années  90, Nelson Mandela anima un dîner de bienfaisance auquel participa Charles Taylor, condamné plus tard pour son entrave aux Droits de l’homme, et Naomi Campbell qui fut également témoin au procès de Charles Taylor.  Cet exemple symbolisait parfaitement un lieu où saints et pécheurs s’étaient retrouvés et la dualité existante entre la morale et la religion.
MMK/C&  : De quoi parlent les œuvres exposées au MMK?

KC  : Le travail exposé au MMK traite du conflit et du sacrifice. Les sacrifices nécessaires en vue d’acquérir richesse, pouvoir et contrôle, de même que les conflits y afférents. Mais les œuvres ne se résument pas à cette simple description, elles questionnent également la politique centrale et l’image religieuse. Dans ma vidéo, le Christ est une femme qui est témoin de la violence et du conflit, et donc le sujet du sacrifice. D’une certaine manière, elle s’oppose aussi à la souveraineté de l’interprétation euro-centrique évoquée plus tôt.

L’exposition The Divine Comedy: Heaven, Hell, Purgatory revisited by Contemporary African Artists commissariée par Simon NjamiMMK / Museum für Moderne Kunst, 21 mars – 27 juillet 2014, à Francfort-sur-le-Main.

 

 

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