A new record for contemporary art in South Africa

VENTE AUX ENCHÈRES ? HISTOIRE DE l’ART

The recent auction sale of Jane Alexander’s 1986 sculpture, Untitled, draws attention to a compelling artist.

Jane Alexander's sculpture

By Sean O’Toole

Depuis un certain temps, l’imagination du collectionneur d’art sud-africain était confinée dans le passé. C’est un passé beaucoup moins lointain que celui, sinistre, évoqué par la sculptrice Jane Alexander dans son œuvre d’étudiante sans titre datant de 1986 et représentant une sculpture masculine assise, à la peau couleur d’un dalmatien et qui a été achetée lors d’une vente publique ce lundi soir par un acheteur anonyme sud-africain pour une somme qui défraie la chronique : 5,5 millions de rands (396.400 euros –prime à l’enchérisseur comprise). Il s’agit d’un nouveau record pour une œuvre d’art contemporain achetée lors d’une vente publique dans le pays. Il est possible de déterminer exactement l’année de ce retour nostalgique : 1938.

Beaucoup de choses se sont produites cette année-là ; certaines méritent de faire les actualités, d’autres non. Le Nouveau Groupe de peintres au style auto-proclamé dont faisaient partie Walter Battiss, Grégoire Boonzaier, Frieda Lock et Alexis Preller, noms qui sont à présent prisés lors des ventes publiques, annonçait ses sensibilités picturales modernes lors d’expositions de groupe au Cap et à Pretoria. Le peintre paysagiste JH Pierneef, dont le nom évoque encore une étrange affection pour son pays d’origine, accepta un contrat public lui demandant de peindre les Union Buildings (bâtiments de l’union), un symbole gouvernemental de l’état unifié blanc à Pretoria. Irma Stern, peintre expressionniste allemande et artiste actuellement la plus prisée lors des ventes publiques en Afrique du Sud, s’est rendue à Dakar où elle a peint des scènes de rue représentant des « Arabes » et des « Africains ».

Au moment où l’avant-garde cosmopolite blanche d’Afrique du Sud promouvait une marque particulière de modernisme vernaculaire, le peintre Ernest Mancoba planifiait sa fuite. En 1938, Mancoba obtint une bourse et un prêt du Bantu Welfare Trust (Fonds social du Bantu) pour étudier à Paris, ville qu’il quitta ensuite pour aller au Danemark pendant un certain temps et où il co-fonda le groupe influent CoBrA. À l’inverse de ses homologues blancs, Mancoba, décédé en 2002 pendant son exil en France, n’a plus jamais, sur le solide marché secondaire de l’après apartheid en Afrique du Sud, bénéficié des mêmes acclamations ni de la visibilité qu’il avait connues auparavant. Et ce, en dépit du fait qu’Elza Miles, historienne d’art, l’avait honoré comme le « premier artiste sud-africain urbain qui s’était affranchi de la tyrannie de l’imitation représentative et des canons de proportion occidentaux ».

C’est à Miles, ancienne journaliste critique d’art et épouse du romancier John Miles, qu’appartenaient les deux oeuvres importantes d’Alexander qui ont été vendues aux enchères par la société de ventes Strauss & Co, ce lundi soir. Pendant de nombreuses années, West Coast African Angel (1985-86) avait été exposé sans aucune prétention dans la petite maison de Melville. Cette œuvre représente une sculpture de la taille d’un enfant ayant la tête d’un flamant rose et les ailes d’une oie. Le dernier coup de marteau a fixé la somme à 600.000 rands (43.270 euros, prime à l’enchérisseur non comprise) ce qui apportera un soulagement financier bien nécessaire à son ancienne propriétaire dans le besoin, Miles, une critique d’art très négligée qui donnait des cours d’histoire de l’art au début des années 90 à l’Union fédérée des artistes noirs (Federated Union of Black Artists) tout en travaillant à sa monographie sur Mancoba, Lifeline Out of Africa (1994).

West Coast African Angel faisait partie d’une série de sculptures figuratives produites pendant qu’Alexander terminait sa Maîtrise en Beaux-Arts à la University of the Witwatersrand de Johannesbourg. Exposée dans la Market Gallery à Newtown en 1986, galerie qui n’existe plus aujourd’hui, la fameuse oeuvre d’Alexander, Butcher Boys (1985-86), incluait un trio de silhouettes masculines assises, sculptées de manière classique et dont les visages étaient marqués de traits d’animaux, tout comme le personnage assis, sans titre, vendu lundi soir. L’exposition a suscité une critique favorable dans le magazine de gauche Weekly Mail qui invite les artistes du Cap et l’écrivain Sue Williamson, qui faisait des recherches pour son livre Resistance Art in South Africa (1989), à s’envoler pour Johannesbourg afin d’y rencontrer l’artiste.

« Je pensais à l’époque, et je le pense toujours, qu’il était remarquable qu’un étudiant réalise une série d’œuvres extraordinairement mûres, techniquement abouties et porteuses d’un concept fort qui n’y allait pas par quatre chemins. », déclara Williamson dans une interview. En dépit du succès de l’exposition de lancement d’Alexander, seule une œuvre fut vendue. Les Butcher Boys, dont le prix avait été fixé à 1.500 rands, n’avait pas été vendu et se languissait dans l’entrepôt de la maison des parents d’Alexander jusqu’à ce que la Galerie Nationale d’Afrique du Sud (National Gallery) au Cap en fasse l’acquisition en 1991 et le montre au public dans son exposition permanente. La sculpture d’homme esseulé placée à proximité des Butcher Boys a été achetée peu de temps après la fin de l’exposition par la fille de Miles, étudiante de premier cycle à l’époque et qui a payé l’œuvre en plusieurs versements.

« La vérité, c’est que l’acheteur d’origine a remarqué quelque chose en 1986 que peu d’autres pouvaient déceler – et était prêt à payer 800 rands (58 euros) pour conserver l’objet ainsi que le monde qu’il évoquait et qu’il contenait », écrivit John Nankin, un artiste performeur pionnier et polémiste bien connu sur Facebook le lendemain de la vente de l’œuvre d’Alexander à Johannesbourg. Nankin est marié avec Alexander. « Parmi le public relativement informé qui avait vu l’œuvre exposée dans la galerie du théâtre, beaucoup de personnes – à en juger par les commentaires laissés dans le livre dédié aux visiteurs –  ne voyaient que des signes de satanisme dans les cornes et l’attitude des personnages », ajouta-t-il.

Alexander n’est pas sur Facebook et n’utilise pas Tweeter. En dépit de sa présence visible sur la scène artistique au Cap où elle assiste régulièrement à des vernissages, des débats et des performances, Alexander évite la publicité et préfère ne pas donner d’interview à la presse. Elle est, pour reprendre les termes du philosophe espagnol Pep Subirós, une grande admiratrice et récemment aussi une interprète clairvoyante de son œuvre, « une sorte d’artiste secrète ». Ce n’est pas une déclaration hyperbolique. À une époque où la foire artistique a définitivement éclipsé la biennale et où les catalogues d’enchères artistiques sont confondus par certains avec des livres d’histoire de l’art, Alexander reste aussi loin qu’elle peut du tourbillon qui sévit sur le marché. Elle n’est pas représentée par un vendeur et ne produit pas d’œuvres pour les vendre dans une galerie commerciale même si elle organise de temps en temps des expositions avec les galeristes Jack Shainman et Michael Stevenson, car elle préfère plutôt faire des expositions quand des musées ou des biennales l’y invitent.

« Il est difficile de dire si Jane a profité de sa décision de ne pas être représentée par des galeries spécifiques », déclare Williamson. Un nombre de commissaires d’expositions internationaux est certainement au courant de son travail et a sélectionné ses œuvres pour d’importantes expositions mais je pense que dans le monde artistique actuel, les institutions réfléchissent deux fois avant d’exposer les œuvres d’un artiste qui n’est pas représenté, et ce pour de simples raisons logistiques. »

Ce n’est pas le seul facteur qui rend la constante visibilité d’Alexander d’autant plus remarquable. Née à Johannesburg en 1959, Alexander y termine sa licence en Beaux-Arts en 1982. Elle donne brièvement des cours d’anglais deuxième langue à Rehoboth en Namibie avant de s’inscrire en maîtrise qu’elle termina en 1988. Actuellement professeur à l’école Michaelis School of Fine Art au Cap, ses tableaux sculpturaux sont à la fois habilement fabriqués, psychologiquement immanents et émotionnellement austères. Ils traitent principalement deux thèmes ; tous deux sont antithétiques au mouvement de l’art contemporain à l’échelle mondiale : les sculptures humaines et l’éthique. Plutôt que de produire une critique sociale directe, ses tableaux présentent des scènes allégoriques qui « objectivent  les observations des caractéristiques d’une période et d’un lieu donnés dans un contexte social particulier » comme l’a décrit l’artiste dans son mémoire de maîtrise en 1988.

Jeune artiste, Alexander s’intéressait aux œuvres des deux sculpteurs américains Edward Kienholz et Duane Hanson. Alors que son œuvre est enracinée dans la figuration classique, elle invente souvent de nouvelles formes biologiques hybrides qui deviennent des éléments expressifs dans des tableaux complexes qui se basent sur une situation. Le sens est souvent d’ordre relationnel dans les tableaux d’Alexander et dérive en partie de la remarquable vie sociale de ses sculptures qui sont pour la plupart encore la propriété de l’artiste.

Alexander a vendu peu de sculptures depuis 1999, une stratégie qui lui a permis de présenter ses sculptures dans des villes du monde entier et de les placer dans des contextes nouveaux et inattendus, souvent dans des cadres non traditionnels (entre autre dans des cathédrales, des chapelles, des cours de justice, des parcs, sur la plage ou dans un jardin privé de sculptures).

Cette mobilité lui a permis de conquérir un large public d’admirateurs dont le commissaire d’exposition Simon Njami, qui a inclus dans l’exposition Africa Remix son installation African Adventure (1999-2002), constituée de plusieurs personnages et représentant une sombre réflexion sur le nouveau débat politique en Afrique du Sud. Plus récemment, en réponse à l’exposition panoramique Surveys (from the Cape of Good Hope), présentée dans la cathédrale St. John the Divine par le Museum of African Art qui donne un aperçu sur sa carrière et ses œuvres, Holland Cotter, un critique d’art du New York Times, a remarqué que l’œuvre d’Alexander ne proposait pas de réponse catégorique : « Ce qu’on y trouve, c’est une gravité morale – politique, poétique – et une beauté profonde, particulière qui s’accroche obstinément aux marges, là où se cachent les mystères avant de s’amplifier ».

Alexander, dont le silence de principe ne doit pas être confondu avec du désintérêt, a paraît-il été touchée par les remarques de Cotter. Il est facile de comprendre pourquoi : elles constituaient une réponse directe à son œuvre et sont très différentes du tapage actuel fait autour de la vente de son travail d’étudiante. Un compte-rendu sur une vente aux enchères ne vaut pas une critique d’art.

Jane Alexander montrera deux oeuvres issues de l’exposition rétrospective, Surveys (from the Cape of Good Hope), au Stevenson Johannesburg du 18 novembre 2013 au 7 février 2014.

Sean O’Toole est écrivain et co-éditeur de CityScapes, une revue critique sur les enquêtes urbaines. Il vit au Cap en Afrique du Sud.

 

 

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